Virginie Efira: « Je ne me demande plus si j’ai le droit ou pas d’être là »

Elle a ébloui la rentrée avec Revoir Paris et Les Enfants des autres et navigue au cœur du cinéma d’auteur avec une force de jeu impressionnante. Actrice de notre temps, elle s’est forgé une place unique auprès du public et sur les écrans. Par Juliette Goudot. Photo (c) Getty Images.

Virginie Efira, héroïne ordinaire

On la rencontre dans un restaurant sur les quais, à Paris, en face de la maison de la radio, où elle débarque en blouson de cuir noir, les cheveux lâchés. Virginie Efira tourne jusqu’à mi-janvier prochain la minisérie Tout va bien (huit épisodes de 52 minutes) produite par Éric Rochant (créateur du Bureau des légendes) pour la plateforme Disney+, une fiction de Camille de Castelnau qui raconte comment la maladie d’un enfant impacte tous les membres d’une famille. À 45 ans, l’actrice — née à Bruxelles — semble avoir atteint ce stade de jeu très rare où elle peut tout jouer, être toutes les femmes et nous ressembler. Depuis le réjouissant Victoria et Sybil de Justine Triet, on l’a vue endosser des rôles importants du point de vue féminin, comme dans le confrontant Un amour impossible de Catherine Corsini (sur l’inceste, d’après Christine Angot), Revoir Paris d’Alice Winocour (sublime mélo sur les attentats de Paris) et le récent Les Enfants des autres, portrait d’une femme sans enfant qui s’attache à la fille de son compagnon par Rebecca Zlotowski, qui nous confiait : « Ce n’est pas un hasard si de nombreuses réalisatrices confient à Virginie les rôles principaux de leurs films les plus intimes. Elle embrasse ce rôle politique de débarrasser les personnages des stéréotypes. Avec une actrice comme elle, on avance immédiatement à deux dans ce qu’on veut fabriquer. » On a eu envie d’explorer avec Virginie la place qu’elle tente de construire dans le cinéma contemporain, loin des archétypes.

Rencontre avec Virginie Efira

Avez-vous l’impression d’avoir trouvé votre place dans le cinéma ?

Avec l’idée de place, il y a celle que ça ne serait pas quelque chose en mouvement, qu’il y aurait une place dont il ne faudrait pas bouger de peur qu’elle ne soit prise par quelqu’un d’autre. Or, il me semble que nos places sont en perpétuel mouvement. Ça me fait penser à la phrase de Lampedusa : « Pour que rien ne change, il faut que tout change. » Et pas que dans le cinéma. Il faut cultiver des endroits d’inconfort, aller chercher à d’autres endroits. En revanche, ce qui est bien dans l’idée de trouver une place, c’est de percevoir ce qu’on y fait. Car en percevant du sens, on parvient à partager. Ça me renvoie à comment j’ai pu me défaire de questions psychanalytiques un peu chiantes comme l’amour de soi, suis-je bien à ma place ? Je me suis défaite d’un rapport à l’autre hiérarchisé, qui dans mon cas était une position narcissique d’infériorité. Bouger cette place par des choix personnels ou des pensées m’a permis d’arriver à une égalité dans le rapport à l’autre. Car ce qui m’intéresse, c’est ce que nous avons à partager ensemble. À partir du moment où nous avons une croyance commune, quelque chose peut émerger. Peut- être que ça se fait de manière plus immédiate avec des réalisatrices de ma génération, qui ont quelques années de plus ou de moins, sur des récits où elles essayent de raconter des choses qui leur sont propres avec une vision du monde que je peux comprendre.

La cinéaste Rebecca Zlotowski dit aussi qu’un corps comme le vôtre s’imposait dans son cinéma. Ça vous évoque quoi ?

Qu’il y a des choses qui ne nous appartiennent pas, comme la morphologie. J’en déduis que je dégage une féminité contemporaine plutôt que d’époque. Il y a aussi un dialogue qui se crée au sein d’une filmographie entre les personnages qu’on a pu incarner, même si les réalisateurs n’aiment pas qu’on leur parle des autres rôles, mais par essence, on sait bien qu’une actrice n’est pas exclusive. Et les films que j’ai faits avant celui de Rebecca l’intéressaient.

« L’avantage d’être un transfuge, c’est qu’il y a de l’étonnement, ça n’était pas prévu, j’ai pu en bénéficier. »

Vous, en tant qu’actrice, en passant du divertissement au cinéma contemporain, avez- vous le sentiment de vous être « déplacée » ?

Oui, un peu, mais contrairement à beaucoup d’acteurs, je n’ai pas ce complexe d’illégitimité. Je ne me demande plus si j’ai le droit ou pas d’être là. Avant il y avait la télévision, la honte de moi-même, et je me disais beaucoup : « Il faut que tu sois très sympa, car tu vas sûrement mal jouer. » Mais cette histoire de place ou de déplacement est valable partout. Dans un couple, par exemple, si tu n’aimes plus les rôles qui te sont attribués, soit tu acceptes, soit tu les déplaces — la rupture étant le déplacement ultime. Concernant mon travail, on m’a au départ beaucoup proposé des comédies romantiques et j’ai accepté, tout en me demandant ce que je pouvais en faire. Je pensais alors à Drew Barrymore et je me disais : « Débrouille-toi pour que tes films aillent dans ce sens. » Le déplacement est arrivé ensuite. J’ai commencé tard, j’ai connu une autre vie avant le cinéma et tout cela a produit des choses. Je suis partie de cette matière-là. Je n’ai pas triché avec l’instrument que j’avais, ni avec qui j’étais.

Qui étiez-vous, justement ?

J’étais belge et pas française, pas parisienne. C’est quelque chose qui se voit dans le corps, la manière de parler ou de se déplacer, justement. Les acteurs belges qui travaillent en France ont une autre manière de se mouvoir. Ma féminité n’est pas éthérée, ce qui a dû faire fuir pour plein de rôles, mais à partir du moment où on n’essaie pas d’être éthérée alors qu’on ne l’est pas et qu’on prend en charge une forme de féminité concrète, gironde, presque agricole, alors ça peut devenir une force. L’avantage d’être un transfuge, c’est qu’il y a de l’étonnement, ça n’était pas prévu, j’ai pu en bénéficier.

« À la lecture du scénario, j’ai eu une émotion très forte, très particulière, un soubresaut qui a fait ressortir une vérité enfouie en moi »

Le film de Rebecca Zlotowski parle des nouvelles parentalités : est-ce que la place de la belle-mère était à prendre au cinéma, en particulier dans une optique douce et bienveillante ?

Je trouve, oui. C’est étonnant que ça ait été si peu représenté, ou alors la belle-mère, au cinéma, c’était la marâtre. À la lecture du scénario, j’ai eu une émotion très forte, très particulière, un soubresaut qui a fait ressortir une vérité enfouie en moi qui avait à voir avec une solitude. Quelque chose d’enfoui qui pose des questions simples : où laisse-t- on une trace ? Comment faire pour en laisser ? C’est quoi, une relation qui dure ?

Ce sont des questions très intimes. Mais seriez-vous d’accord pour dire qu’elles sont aussi très politiques, au regard justement de la place des femmes dans la société et dans les représentations ?

J’aime, dans un film, quand le politique — et le féminisme est compris dans le politique chez moi — est intégré au récit. Je n’aime pas les films démonstratifs avec un cahier des charges moral et politique à remplir, ça me fait penser aux plateformes. Les Enfants des autres me plaît car il est très organique. C’est pourquoi le regard du metteur en scène est très important. Ce que j’adore dans le film de Rebecca, c’est justement ce rapport entre femmes, entre par exemple mon personnage et celui de Chiara Mastroianni, qui joue la première compagne, la mère de la petite fille. Il n’y a pas une obligation de sororité entre elles, elles ne deviennent pas super copines, il y a une distance nécessaire, une maladresse mais également un respect, car c’est aussi ça, la vie. Ce qui est politique dans le film, c’est aussi de montrer que la transmission peut se faire à un autre endroit que celui d’être mère. Le film montre une complexité.

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