Lous and The Yakuza: « Si je n’apprends pas à vivre avec mes peines, elles vont me définir »

Une enfance bousculée par la guerre, ballottée entre le Congo, le Rwanda et la Belgique. Une adolescence dorée puis rebelle, qui l’a amenée à vivre dans la rue. À 26 ans, l’auteure-compositrice-interprète aux talents multiples Lous & the Yakuza avance vers l’apaisement. Et rayonne sous les spotlights. Par Isabelle Blandiaux. Photo (c) Charlotte Wales.

Papa congolais, un éminent médecin et professeur, maman rwandaise et pédiatre, auxquels elle voue une grande admiration, trois frère et sœurs, Marie-Pierra Kakoma, comme il est écrit sur sa carte d’identité, a connu une enfance mouvementée, marquée par les séparations dues à la guerre en RDC. Mais aujourd’hui, les liens familiaux sont forts. « On habite tous sur des continents différents, mais on arrive à se réunir au complet dix fois par an, sourit-elle. Et je vais en Afrique au moins tous les cinq mois, pour voir mes parents. » Alchimiste dans l’âme, Lous (l’anagramme de « Soul ») transforme ses traumas du passé en or.

Concrètement, comment as-tu débuté ?

À 15 ans, j’ai demandé à mes parents de quitter l’Afrique et de venir étudier en Belgique. J’étais dans un internat la semaine et dans un petit appartement en face de chez ma sœur le week-end, à Namur. C’était une école particulière, fréquentée par des nobles qui allaient à des rallyes... Là-bas, je n’avais aucune chance de me faire des contacts dans le monde de la musique. Sauf que je chantais lors des spectacles de fin d’année. Après mes secondaires, j’allais arrêter les gens qui avaient une guitare boulevard Anspach, dans le centre de Bruxelles, pour leur demander de faire de la musique avec moi. Ils me prenaient pour une folle, mais l’un d’eux m’a dit qu’il y avait des jam sessions à Dansaert tous les mercredis. Là, j’ai rencontré plein de musiciens et un producteur qui m’a emmenée en résidence à Leuven, à Het Depot. J’ai beaucoup chanté en Flandre, puis j’ai rencontré Damso, qui m’a mise en contact avec un producteur bruxellois, Krisy (De La Fuentes). Il est devenu l’un de mes meilleurs amis et m’a enregistré environ 200 morceaux. J’ai fini par trouver mon chemin, après trois ou quatre ans de brouillard intense.

La rage et la colère sont beaucoup moins présentes sur ton nouvel album, Iota, que sur ton premier disque, Gore...

À fond. Gore, c’était le monde dans lequel je vivais avant. J’étais en colère parce que j’avais été à la rue, abandonnée. En fait, j’aurais pu me débrouiller, appeler ma mère ou ma sœur, mais je ne voulais pas leur parler parce qu’elles me rejetaient avec mes projets musicaux. C’était le sentiment d’abandon de trop. Donc ma famille n’était pas au courant. Puis deux amis, dont Damso, m’ont obligée à aller voir ma sœur... Gore était très sombre avec un tout petit peu de lumière. Là, mon monde s’est inversé : je vis dans la lumière, avec un tout petit peu de ténèbres. Cela change tout.

« Si je n’apprends pas à vivre avec mes peines, elles vont me définir. Ce n’est pas la vie qui a changé. C’est un choix. Je ne veux pas être que cela »

Est-ce que toutes ces ténèbres ont endurci la personne que tu es aujourd’hui ?

J’ai peut-être été trop dure avec moi-même et avec les autres, oui. Après la sortie de mon premier album, je me suis enfin sentie entendue, et à quelle échelle ! Grâce à mes fans, je me sentais comprise. Cela m’a soignée et cela m’a permis de me concentrer sur d’autres choses qui me définissent. À l’époque, je pensais que j’étais juste ça, l’accumulation de mes traumas, de mes monstres. Le morceau Monsters sur mon nouvel album dit tout le contraire : « Je dois vivre avec / Tous mes problèmes / C’est un casse-tête / J’fume plein de cigarettes. » Si je n’apprends pas à vivre avec mes peines, elles vont me définir. Ce n’est pas la vie qui a changé. C’est un choix. Je ne veux pas être que cela. Comme je ne veux pas être qu’une « femme noire ». Les gens définissent souvent les choses comme ça et on finit par y croire. Or, ce n’est pas vrai. J’adore aussi le vin rouge, je suis une grande fan de mangas, j’ai une grande bibliothèque de plus de 2 000 ouvrages, donc je suis beaucoup plus que ça ! On est tellement plus que la manière dont la société nous définit.

Il y a encore très peu de femmes afro-européennes qui ont du succès en Europe...

Oui, on m’a définie comme « femme noire » parce qu’il n’y en a pas beaucoup qui sont populaires... Quand on voit certaines réactions au fait que la Petite Sirène est noire dans le nouveau Disney, on peut se dire que le chemin est encore long. Or, c’est tellement important qu’il y ait diverses représentations. Mais je ne veux pas être un exemple, un modèle. J’ai 26 ans et je fais parfois des conneries, comme tout le monde. C’est ce que j’explique aux filles qui m’envoient des messages d’encouragement et me mettent la plus grosse pression de ma vie.

Tu as beaucoup été confrontée au racisme en Belgique ?

Quand je suis arrivée, il n’y avait pas la conscience qu’il y a maintenant au sujet du racisme « intégré ». Je me souviens que le père Fouettard, cela me foutait bien les boules. Il est noir et il est méchant ! Idem pour les black faces au carnaval. Même ma mère nous y emmenait. Elle partait du principe qu’elle n’allait pas être acceptée, mais elle était très en paix avec tout cela. Je ne l’ai jamais entendue élever la voix. Cela m’a aidée. Quand une petite fille me disait qu’on ne pouvait pas jouer ensemble parce que j’étais noire, je lui disais que ce n’était pas vrai et qu’on allait bien s’amuser. Quand tu combats ouvertement le racisme, tu attires encore plus les racistes volontaires qui te détestent pour ta couleur de peau. Quand tu ne le combats pas, tu vis « simplement » le racisme ordinaire, mais on ne s’acharne pas sur toi...

Découvrez notre rencontre avec Lous and the Yakuza en intégralité dans le GAEL de novembre, disponible dès maintenant.

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