Lous and the Yakuza: « Devenir SDF a été le résultat d’une accumulation de mauvais choix »

Une enfance bousculée par la guerre, ballottée entre le Congo, le Rwanda et la Belgique. Une adolescence dorée puis rebelle, qui l’a amenée à vivre dans la rue. À 26 ans, l’auteure-compositrice-interprète aux talents multiples avance vers l’apaisement. Spontanée, vive, drôle, surprenante, hyper communicative, notre Guest du mois Lous and the Yakuza se raconte aussi sans langue de bois. Par Isabelle Blandiaux. Photo (c) Charlotte Wales.

Rencontre avec Lous and the Yakuza

Quels sont les souvenirs de ton enfance qui restent gravés en toi ?

L’image qui me revient le plus souvent, c’est mon arrivée en Belgique en hiver et ma première rencontre dans ma mémoire avec ma mère à 4 ans. Rwandaise, elle avait été emprisonnée et avait dû quitter le Congo à cause de la guerre quand j’avais 2 ans. Je ne garde aucun souvenir de ma vie avec elle avant 2 ans. Ce qui m’a aussi marquée, c’est mon déménagement au Rwanda à 9 ans. C’était bien après le génocide, mais il restait des traces de la guerre partout. Des gens mutilés et puis énormément d’enfants de la rue à l’époque. Voir la pauvreté me faisait pleurer tous les jours. Je me sentais responsable de la misère du monde. On nous disait tout le temps qu’on avait de la chance d’avoir un toit et qu’on n’avait pas le droit de rêver, ce qui était frustrant... C’est comme si on était coincés dans le rêve d’un autre, d’un enfant de la rue.

Comment as-tu géré ton sentiment d’abandon ?

Pour mes parents et les personnes de leur génération, qui avaient tous connu la guerre en Afrique, éviter à leurs enfants d’être les témoins de meurtres et d’atrocités, c’était une victoire malgré les séparations que cela impliquait. Entre 2 et 4 ans, dans ma tête, mon père était mon seul parent concret. Pourtant, j’avais ma mère au téléphone, mais je ne comprenais pas bien qui elle était vraiment. Quand nous sommes partis pour la Belgique, avec mon frère et ma sœur aînés, mon père nous a déposés à l’aéroport et j’ai eu le sentiment qu’il nous abandonnait lui aussi. Idem quand on a déménagé au Rwanda, on a été seuls chez ma grand-mère pendant six mois, puis nos parents nous ont rejoints. Enfant, j’étais en permanence dans un sentiment d’abandon. Tout cela a créé des blessures dont je souffre toujours aujourd’hui. J’apprends petit à petit à les refermer. J’ai appris également à aimer la solitude : elle n’est pas synonyme de ténèbres, elle peut être joyeuse. Cela m’a sauvé la vie, je pense. L’art aussi m’a sauvé la vie.

Comment la musique est-elle entrée dans ta vie ?

À la maison, les vinyles de mon père tournaient en permanence. Il n’y avait jamais de silence. Surtout de la musique classique, de la rumba congolaise et un peu de pop/ rock comme Bob Marley, James Brown, les Beatles... Dès que j’ai su écrire, vers 7 ans, j’ai commencé à remplir des tas de journaux intimes. C’était ma façon de me souvenir de tout, j’ai toujours été obsédée par la mémoire.

Chanter, pour toi, c’est être entendue ?

Oui, c’est la traduction de mon urgence de m’exprimer, je pense. Quand j’étais petite, on ne m’expliquait pas les choses. On ne me disait pas que ma mère était partie en prison et qu’elle avait été exilée en Belgique, où elle vivait dans un camp de réfugiés. On ne me disait pas que j’allais la retrouver quelques années plus tard mais que je serais séparée de mon père parce qu’il devait continuer à travailler au Congo... Je chantais tout le temps à la maison et aux fêtes de famille. Mais je n’avais aucun don. J’ai pris des cours et cela ne fait que quelques années que je parviens à entendre les fausses notes. J’ai commencé le piano il y a trois ans, cela m’a aidée aussi pour la composition.

« Je ne crois pas que la douleur et la peine soient nécessaires pour prendre conscience de son bonheur »

Tu as vécu plusieurs mois dans la rue. C’est cher payé pour chanter, non ?

Oui, c’est cher payé. Mais je pense que c’était nécessaire, non pas dans mon parcours d’artiste, mais dans mon parcours d’humain, de me mettre à la place de tous les pauvres que j’avais vus toute ma vie. Me rendre compte que ce n’était pas si mal, finalement, d’être bloquée dans le rêve d’un autre, comme je le disais au début de l’entretien. Parce que j’ai vécu le plus gros traumatisme de mon existence pendant les mois où j’étais à la rue. Et puis j’en suis sortie. Mais je ne crois pas que la douleur et la peine soient nécessaires pour prendre conscience de son bonheur. La seule chose que la douleur permet, c’est de constater à quel point elle peut être profonde... J’ai compris beaucoup de choses sur l’humanité.  Devenir SDF a été le résultat d’une accumulation de mauvais choix. Mes parents ont très mal pris le fait que j’arrête mes études de philo après quatre mois pour me consacrer à la musique. J’ai enchaîné les petits boulots, mais je me faisais virer à chaque fois. C’est ça qui les effrayait : ils voyaient que je n’étais pas assez mature pour garder un job, alors ils refusaient de financer mes projets. Je suis quelqu’un qui a besoin de choses intenses. Mais l’intensité, c’est comme le feu : cela peut nous réchauffer et cela peut aussi nous brûler au troisième degré.

Quels traumatismes as-tu gardé de cette descente aux enfers ?

Aujourd’hui, j’en rigole avec mes amis... Mais j’achète tout le temps des protections hygiéniques parce que c’était trop difficile d’en trouver quand j’étais en rue. Je garde aussi des tics avec la nourriture : j’en mets toujours un peu à côté de mon lit avant de m’endormir. Par peur d’avoir faim alors que je ne la mange jamais. Idem, chez moi, il y a toujours beaucoup dans le frigo, pour moi et les autres. Tout comme il y a sept chambres parce que j’ai peur que mes amis soient SDF. J’en héberge tout le temps. Je ne veux pas que les gens que j’aime se retrouvent un jour dans la situation dans laquelle je me suis retrouvée.

SON ACTU

Lous and The Yakuza sort son 2e album, Iota (Sony), le 11 novembre. « Iota » pour « ce qui reste de toutes les histoires d’amour vécues ». L’électro-pop catchy y alterne avec de la chanson française plus dépouillée et pleine d’émotions. Comme son duo avec Damso.

DÉCOUVREZ NOTRE RENCONTRE AVEC LOUS AND THE YAKUZA EN INTÉGRALITÉ DANS LE GAEL DE NOVEMBRE, DISPONIBLE DÈS MAINTENANT.

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