Boomeuse ou badass: on a parlé âge avec Nathalie Uffner, Daphné Huynh et Farah

L’emblématique directrice du TTO vient d’avoir 60 ans... Angoisse ! Mais aussi envie de continuer à s’amuser. « Date de péremption », solidarité entre femmes, bon usage du Botox, mots qui « font jeunes »... Nathalie Uffner, la « boomeuse », et Daphné Huynh et Farah, trentenaires « badass », ont échangé sur ce que signifiait, pour elles, prendre de l’âge. Par Maïder Dechamps. Photos: Joris Casaer.

Vieillir, cap ou pas cap?

Il est 10h dans le bar cosy du Théâtre de la Toison d’Or, le TTO comme on l’appelle à Bruxelles. Ambiance feutrée, sans lumière du jour. Un technicien passe, souriant, les yeux embrumés. On pourrait déjà se croire en soirée, juste avant le début d’un spectacle. La porte ouverte laisse entrevoir la salle aux fauteuils rouille. On se surprend à tendre l’oreille pour guetter les éclats de rire qui sont devenus la marque de fabrique des pubs radio du théâtre. Dans la foulée, on s’attend à entendre la voix, inimitable, de Nathalie Uffner grondant ce public hilare : « Mais enfin, ne riez pas, vous n’avez encore rien vu ! »

En nous fixant rendez-vous dans ce théâtre qu’elle codirige avec Sylvie Rager depuis vingt-sept ans, Nathalie nous reçoit donc un peu chez elle. Elle s’installe entre Farah et Daphné, les deux comédiennes qu’elle a invitées à collaborer au podcast Jeunes vieux cons, dont une première saison de dix épisodes a été produite par la RTBF. « J’ai eu l’idée de ce podcast parce que ce qui m’anime dans la vie, c’est de m’amuser. L’âge avançant, j’angoissais à l’idée que j’allais moins m’amuser, que la vie allait devenir de plus en plus compliquée et triste », confesse sans ambages cette jeune sexagénaire. « Quand j’étais jeune, 60 ans, pour une femme, c’était le troisième âge ! » poursuit-elle.

« Avec ses invités, épaulée par les chroniqueuses Farah et Daphné et le sociologue Renaud Maes, Nathalie tente de percer un mystère : « Comment rester indispensable ? »

Heureusement, on ne vieillit plus aujourd’hui comme à l’époque. Mais comment vieillit-on au juste, en 2022 ? C’est la question posée par le podcast à dix personnalités : la journaliste Sophie Fontanel, la créatrice de mode Francine Pairon, les chanteuses Sheila et Lio, le dessinateur Pierre Kroll... Avec ses invités, épaulée par les chroniqueuses Farah et Daphné et le sociologue Renaud Maes, Nathalie tente de percer un mystère : « Comment rester indispensable ? Ou comment accepter de ne plus l’être ? » Tout comme elle, ses invités sont des « boomers », cette génération née après la Deuxième Guerre mondiale. Ils sont accusés par les plus jeunes d’avoir égoïstement profité de la vie, de la planète et d’être incapables de faire face aux réalités actuelles, sociales et environnementales notamment. La génération des millennials (ou génération Y), celle des trentenaires d’aujourd’hui, a d’ailleurs popularisé l’expression « OK boomer », qu’on pourrait traduire par : « Cause toujours, vieux con ! » Eh bien, causons!

Ce qui est à l’origine du podcast, c’est la peur de vieillir. En quoi ça vous fait peur ?

Nathalie : « J’ai peur de ne plus trouver des gens avec qui je suis connectée. J’ai peur de souffrir du regard des autres, sur moi et mon âge. »

Farah : « Moi, ce qui me fait peur dans le fait de vieillir, ce n’est pas tant le chiffre que l’accomplissement. Est-ce qu’à 45 ans, je serai aussi fière de moi qu’à 35 ? »

Daphné : « Il y a toujours cette petite voix dans la tête : je vais avoir 30 ans et c’est le moment où si tu n’as pas eu un “gros succès”, les chances s’amoindrissent d’année en année. C’est idiot, mais c’est ce qu’on entend tout le temps. »

Nathalie Uffner

J’ai entendu à la radio une femme dire : « Quand j’étais jeune, je trouvais que vieillir, c’était une faute de goût »... On en veut aux personnes âgées de se « laisser aller » à vieillir ?

Nathalie : « Ce que je trouve vraiment difficile, c’est d’être confrontée à des jeunes qui vous renvoient que vous êtes vieille. Je n’ai pas ça avec Farah et Daphné. Et en fait, j’ai rarement ça avec des femmes... C’est avec les jeunes collaborateurs masculins que je me sens la plus vieille. Et ça n’a rien à voir avec la séduction ! Ils vont avoir un petit air ironique parce que j’utilise un mot de jeunes, ils vont ricaner, sans doute inconsciemment... C’est difficile à expliquer, mais je le sais, je le vois. »

Daphné et Farah, vous présentez des mots de millennials dans le podcast. Comment sont-ils choisis ? Sont-ils influencés par votre façon de parler ?

Daphné : « Il y a des mots qui ont été évidents à choisir pour la chronique parce que je les utilise. “Badass” (une forte tête qui sait ce qu’elle veut et qui l’obtient, NDLR), je l’emploie beaucoup. J’avais dit de Sheila qu’elle était une badass qui “deadça”. “Tu as deadça”, ça a été démocratisé par Aya Nakamura. Ça veut dire tu as tué le “game”, tu as super bien fait ça... Tu as tué ça, littéralement, puisque ça vient de l’anglais dead, “mort”. Par contre, le mot “tchoin”, qui signifie pute, je ne l’utilisais pas vraiment. Mais maintenant, comme pour le mot “bitch” (salope, en anglais), le sens a été un peu renversé et il y a des influenceuses qui se le réapproprient. On peut être fière d’être une tchoin ! Par exemple, Gaëlle Garcia Diaz (youtubeuse belge, NDLR) érige la tchoin en déesse. » (Elles rient.)

Farah & Daphné Huynh

Et vous, Nathalie, parlez-vous plus millennial qu’avant ?

Nathalie : « Non, non ! Je veux bien utiliser deux ou trois mots parce que c’est devenu incontournable, comme le game, par exemple. Mais j’aime bien utiliser des mots à l’ancienne, genre “branché”. Qui dit encore branché aujourd’hui ? Ou “la hype” ? (Elles rient.) Mais je ne trouve pas d’autres mots plus justes. »

« J’aurais parfois envie d’utiliser certains mots, mais je ne le fais pas. J’ai deux garçons de 26 et 23 ans : il faut garder sa place de génération aussi » – Nathalie Uffner

Daphné (taquine) : « Peut-être “dans le vent” ? » Nathalie : « Non, ça quand même, je n’ai jamais dit ! (Rires.) Par contre, j’aurais parfois envie d’utiliser certains mots, mais je ne le fais pas. J’ai deux garçons de 26 et 23 ans : il faut garder sa place de génération aussi. Il y a des moments où, par respect pour eux, je veux rester “la vieille”. Un jour, j’ai attrapé un de mes fils avec un joint. J’ai hurlé. Pas parce que ça me choquait, j’en ai moi-même fumé, très peu. Mais j’ai joué à la maman qui hurle parce qu’il me semble que c’est mon rôle de parent. Si leurs parents sont au même niveau que les enfants, c’est compliqué de les dépasser ou d’aller plus loin. »

Farah : « Quand je sortais à 17-18 ans, la mère d’une copine disait parfois : “Regardez, moi je pourrais sortir avec vous, on nous prendrait pour des sœurs.” Ma maman me disait :
“Non, nous, on est les mamans, on n’a plus 17 ans.” Ça ne l’empêchait pas de sortir, elle, avec ses copines. »

En tant que femmes de différentes générations, vous êtes-vous senties traversées par une sororité, une solidarité entre femmes, pour affronter ces questions ?

Daphné : « Avec les invitées féminines. »

Farah : « Il y a un lien qui se crée plus facilement entre femmes. Peu importe l’âge, on a vécu les mêmes choses, on va peut-être vivre les mêmes choses. On sentait que les invités masculins avaient plus d’automatismes... On a constaté avec Mehdi Bayad, qui réalise le podcast, et Renaud Maes, le sociologue en studio, que les seuls invités qui m’avaient interrompue pendant ma chronique, c’étaient des hommes. »

Nathalie : « Moi, ça ne m’a pas frappée que seuls des hommes t’avaient interrompue ! Ça m’interpelle : est-ce que c’est dû à mon âge ? Est-ce que j’ai intégré que c’était normal d’être interrompue ? Ce qui est mon cas, parce que je vis avec un homme qui se dit féministe mais qui m’interrompt sans cesse. Ça s’appelle comment encore, ce phénomène, en anglais... ? »

Daphné et Farah (en chœur) : « Le manterrupting ! »

Nathalie : « J’ai découvert cette expression, mais je suis tellement conditionnée à trouver ça normal que je ne suis pas encore capable de le remarquer toute seule. Travailler régulièrement avec des jeunes femmes me rend plus lucide sur ce genre de choses. »

  • LES DIX PREMIERS ÉPISODES DU PODCAST JEUNES VIEUX CONS SONT DISPONIBLES E.A. SUR AUVIO.BE.
Découvrez cette rencontre en intégralité dans le GAEL de janvier, disponible dès maintenant.

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