Syndrome de Münchhausen: « Ma mère a détruit mon enfance »

Des enfants comme Nina et Robert ne sont pas malades, mais leurs mères finissent par les envoyer à l’hôpital, par l’administration consciente de médicaments inadaptés ou en les clouant dans un fauteuil roulant. Amour et manipulation maternelle ou le syndrome de Münchhausen par procuration. Par Lene Kemps.

Qu’est-ce que le syndrome de Münchhausen par procuration ?

Appelé aussi Münchhausen by proxy (parfois écrit avec un seul h) ou Pediatric Condition Falsification (PCF), ou encore Facticious Disorder. « Nous parlons d’affections factices imposées à une autre personne, explique le psychiatre pédiatrique Peter Adriaenssens.
Le terme Münchhausen date des années 70, car c’est ainsi que le premier médecin qui a décrit le phénomène l’a désigné. »

Les parents ou soignants (dans 95 % des cas, il s’agit de la mère) rendent leur enfant malade volontairement, afin d’attirer l’attention des médecins et l’admiration de l’entourage. Adriaenssens : « Il est compréhensible de juger de telles mères comme étant maléfiques. Or, leur moteur principal n’est pas de faire du mal à leur enfant, mais bien d’obtenir de la reconnaissance pour elles-mêmes : pouvoir parler aux médecins et infirmiers, séjourner dans un hôpital, bénéficier du soin et de l’attention d’un milieu hospitalier. »

Le nom Münchhausen fait référence au baron allemand (1720-1797) devenu célèbre grâce au récit fantastique et palpitant de ses aventures (pour la plupart fictives) pendant la guerre contre les Turcs. Münchhausen n’est pas entré dans l’histoire comme un grand combattant, mais comme un vantard affabulateur. Quant au terme ‘syndrome de Münchhausen’, il désigne les personnes qui simulent des maladies. ‘Münchhausen par internet’ est une variante récente, à travers laquelle des gens extorquent, sur des sites et des forums, de l’argent pour des traitements dont ils n’ont pas besoin. ‘Münchhausen par procuration’ (by proxy) est employé pour les mères qui provoquent des maladies chez leur enfant. Ce comportement peut prendre des proportions extrêmes : dissimuler des laxatifs dans la nourriture, provoquer des fractures ou instiller des gouttes d’eau de Javel dans les yeux de l’enfant...

« L’ombre de la mère planera toujours : avait-elle raison et est-ce moi qui suis toujours malade, ou bien a-t-elle brisé quelque chose ? »

Les coupables sont généralement des femmes. « Nous voyons ce désordre comme un miroir de l’inceste », dit le psychiatre. « Dans ce dernier, l’abus est généralement commis par un homme. Dans le cas des ‘affections factices’, ce sont surtout des femmes. Souvent, elles ont aussi été victimes d’abus dans le passé. Parfois, elles ont elles-mêmes subi le syndrome de Münchhausen et elles répètent ce qu’elles connaissent. Parfois, il est question d’inceste. Les conséquences des affections factices imposées ne sont pas automatiquement insurmontables, mais il ne faut pas les sous-estimer. Il s’agit d’une maltraitance grave de l’enfant, dans laquelle sa relation au corps est perturbée. Or, notre corps joue un rôle majeur dans notre identité. Pour vivre bien, il faut pouvoir être bien dans sa peau. Si vous ne faites plus confiance à votre corps, cela affectera vos relations affectives et votre rapport à vous-même. Et l’ombre de la mère planera toujours : avait-elle raison et est-ce moi qui suis toujours malade, ou bien a-t-elle brisé quelque chose ? » Aux victimes, Peter Adriaenssens conseille de demander à consulter leur dossier médical complet. « L’histoire comporte beaucoup de confusion pour les victimes. Pourquoi personne n’a rien remarqué ? Pourquoi ont-ils laissé faire ma mère ? De quoi parlait-elle avec les médecins ? Le dossier peut apporter des clarifications. »

Les témoignages de Robert et Nina

Tel un eskimo qui connaît mille mots pour parler de la neige, le jeune Robert possédait tout un vocabulaire pour désigner le personnel hospitalier.

Robert (51 ans) : « Il y avait l’infirmière à piqûres et le docteur mal de tête. Le médecin qui sent dans le ventre et la dame des photos. Le docteur où on parle, celui qui aide et celui des pilules. Et le médecin de famille. C’était ma manière enfantine de gérer une situation difficile. » Très jeune, Robert est traîné d’hôpital en hôpital. Sa mère est convaincue qu’il est très malade. Parfois d’ailleurs, c’est vraiment le cas, et c’est elle qui en est la cause.

PLUS RIEN NE VOUS APPARTIENT

 « Ma mère m’avait dit qu’il fallait se nettoyer les oreilles avec une allumette, du côté de la boule de soufre rouge. Évidemment, mes oreilles se sont infectées. Quand le médecin a demandé à ma mère d’où venaient les débris rouges, elle a fait celle qui ne savait pas. Alors, j’ai dit au docteur comment ma mère m’avait appris à faire avec les allumettes. Elle m’a réprimandé : “Ce n’est pas vrai, Robbie. Tu ne dois pas inventer ce genre de choses.” »

Les dégâts provoqués par le syndrome MBP sont immenses. Il y a notamment les souffrances liées aux médicaments inappropriés et aux batteries d’examens médicaux invasifs.

« Je voulais hurler : “Arrêtez, je vous en supplie, c’est ma mère qui veut que je sois malade”. Mais aucun mot ne sortait de ma bouche. »

Nina (43 ans) : « Je n’oublierai jamais la biopsie musculaire. Je voulais hurler : “Arrêtez, je vous en supplie, c’est ma mère qui veut que je sois malade. Je ne veux pas qu’on me découpe.” Mais aucun mot ne sortait de ma bouche. Je pensais à ma mère qui m’avait ordonné de rester muette et immobile. “Quoi qu’il arrive, il faut qu’ils voient que tu ne sais plus bouger.” Le docteur m’a laissé choisir la jambe où il allait inciser, comme s’il s’agissait d’un tatouage. “Gauche”, ai-je lancé automatiquement. Mais ça a fait très mal. Comme si on m’éraflait avec un gros peigne. Et je n’ai pas pu m’empêcher de crier. »

Robert : « En dehors de la douleur, je me souviens de la honte et de l’humiliation d’un lavement intestinal à l’âge de dix ans. Ensuite, il y a eu d’autres examens : des fils et des capteurs qu’on faisait entrer dans mes intestins pour prendre des mesures. Et puis, ils ont tout recommencé, pour qu’un médecin en formation puisse s’exercer. Ma mère observait tout cela tranquillement, comme si elle regardait la télé. Et que révélaient les examens ? Rien. Alors, ma mère m’emmenait chez le médecin de famille pour se faire renseigner un autre spécialiste, et le drame recommençait dès le début. »

Il y avait les blessures provoquées par les sondes nasales et les tubes qui l’alimentaient, les escarres, les ulcères à l’estomac, les muscles affaiblis... Car ce qui commence par une affabulation finit par devenir réalité. Des années de soi-disant maladies rendent réellement malade. Et il y a l’isolement social, et le retard scolaire.

« Je n’avais pas de vie privée, pas de corps, pas d’esprit. Rien n’était à moi. Je lui appartenais complètement. »

Nina : « Parfois, on venait me rendre visite. Mais ma mère les remballait, je ne les voyais jamais. J’entendais sa voix dans le corridor, qui disait : “Désolée, Nina est bien trop malade. ”» Et surtout, il y a ce sentiment atroce que  plus rien ne vous appartient, pas même votre propre corps.  « Je n’ai jamais été une enfant aux yeux de ma mère, mais un objet dont elle disposait à sa guise. “Nina commence à avoir des nénés”, lançait- elle, et elle me pinçait les seins. Ou bien : “Tu n’as pas besoin de sous-vêtements, ça ne fait que gêner la sonde urinaire.” Elle ne connaissait pas de limites. Je n’avais pas de vie privée, pas de corps, pas d’esprit. Rien n’était à moi. Je lui appartenais complètement. »

POURQUOI ? LA RÉPONSE QU’ON N’AURA JAMAIS

Nina : « Le pouvoir de manipulation des mères est immense. Quand on lit à propos du narcissisme, on reconnaît certaines choses. Aux yeux du monde extérieur, ils se profileront toujours comme s’ils étaient généreux. Pour moi, enfant, c’était terriblement troublant. Je voyais combien ma mère était injuste à la maison. Mais elle emballait les professeurs et les soignants sans problème : voyez comme je suis une bonne mère. Ils tombaient tous dans le panneau. »

Robert a toujours perçu deux mères. « À l’hôpital, elle se montrait toujours calme et compatissante. Comme si elle prenait la pose, jouait un rôle. À la maison, elle était complètement différente. Elle s’asseyait, parlait, s’habillait autrement, elle devenait très théâtrale et elle explosait souvent. »

Ils n’ont jamais pu avoir l’entretien libérateur avec leur mère.
Robert : « J’ai quitté la maison à dix-sept ans. Il y a quelques années, j’ai entendu qu’elle avait une maladie incurable et bizarrement, j’ai eu de la peine pour elle. Je suis allé lui rendre visite à l’hôpital et, ensuite, je lui ai écrit une longue lettre où je disais que je voulais lui pardonner. Cette lettre a été interceptée par mon beau-père, elle est morte sans l’avoir lue. »

La mère de Nina est morte début 2016, et quand elle a appris la nouvelle, elle a fondu en larmes. « Je pleurais sans savoir pourquoi. C’était le chaos dans ma tête. Peur, chagrin, et un soupçon de compassion pour ma mère. Prendre conscience qu’elle était morte sans avoir jamais pu me donner ce dont un enfant a tant besoin : la reconnaissance, l’amour, la sécurité. Je ne pourrai jamais lui pardonner, ni oublier ce que j’ai vécu. Mais je ne veux pas vivre dans l’amertume. »

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