Climato-stressée? L’avis du philosophe Fabrice Midal

D’un côté, il y a ceux qui semblent ignorer que si on ne le stoppe pas, le réchauffement climatique va engendrer des cataclysmes. De l’autre, ceux qui s’inquiètent en voyant bien que leurs efforts personnels ne suffiront pas. Parmi eux, certains soignent l’angoisse en retroussant leurs manches. D’après Isabelle Blandiaux et Anne-Sophie Kersten.

Un menace physique & mentale

Une étude canadienne menée avec 27 institutions académiques et organisations non gouvernementales a récemment établi un lien formel entre le « climate change » et une hausse des dépressions et même de formes extrêmes de stress. Selon elle, le changement climatique est la plus grande menace mondiale pour notre santé, non seulement physique, mais aussi mentale. Aux États-Unis aussi, où le gouvernement est loin de montrer l’exemple en matière d’écologie, des scientifiques ont collecté les données médicales de 2 millions d’Américains et conclu à une forte corrélation entre le bien-être mental et les informations sur les conséquences catastrophiques des changements climatiques. Cette déprime touche d’ailleurs surtout les femmes et les personnes à faibles revenus. Loin derrière les victimes des récentes catastrophes naturelles, évidemment, qui, elles, en ont éprouvé les effets dans leur chair.

Agir ou ne pas agir, telle est la question

Nos efforts à tous sont des gouttes d’eau dans l’océan, mais ne rien faire du tout ne ferait qu’augmenter notre inquiétude pour nous, pour nos enfants, pour l’humanité. « Grâce à la peur, je sors de ma zone de confort pour me dépasser, nous dit le philosophe Fabrice Midal dans son tout récent Traité de morale pour triompher des emmerdes (éd. Flammarion). Elle me protège de l’inconscience. Elle me galvanise au lieu de me tétaniser. Elle n’est pas honteuse, elle est le signe de mon cœur, de mon humanité. » Au lieu de se laisser terrasser par l’aveuglement des uns et l’effroyable lenteur de nos politiques, certains ont choisi d’agir tout de suite. Chacun avec ses possibilités, là où il se trouve.

« C’est effrayant de voir à quel point on ferme les yeux devant la catastrophe annoncée du réchauffement climatique... »

Que faire contre l’angoisse provoquée par le climat?

« Ce qui est frappant, c’est de voir à quel point on ferme les yeux devant la catastrophe annoncée du réchauffement climatique. On en arrive même à traiter de défaitistes et d’anxiogènes ceux qui en parlent ! Cet aveuglement me semble effrayant. » Dès les premiers mots de notre entretien, Fabrice Midal nous montre que, tout philosophe qu’il est, il n’en est pas moins animé par la passion et un sentiment de révolte.

Les neuroscientifiques disent que le cerveau est ainsi fait : la satisfaction immédiate l’emporte sur la conscience à long terme.

En effet ! La philosophie montre aussi ceci : il y a deux visions opposées du monde. Celle qui invite à s’en retirer, à construire sa tour intérieure. Pour les stoïciens et épicuriens de jadis, pour les adeptes du culte du bien-être et de la sérénité aujourd’hui, il faut abandonner le monde et ses violences pour accomplir sa véritable humanité. On est ici à mon sens du côté de l’aveuglement. Je préfère de loin l’autre tendance, qui consiste à nous faire sortir de nos évidences, à nous inquiéter, à interroger ce que tout le monde croit sans l’avoir vérifié. C’est la philosophie comme elle apparaît avec Socrate, puis avec le doute cartésien, l’interrogation kantienne : elle nous bouge du confort qui nous aveugle, comme quand on se ferme à la question climatique, à l’injustice sociale, à la souffrance. »

« C’est un aveuglement terrible que de croire que les progrès techniques vont permettre de sauver la planète »

Vous enseignez pourtant la méditation...

« Le paradoxe est en effet que la méditation est aujourd’hui partout associée au courant “zen”, alors que pour moi, elle est tout le contraire : elle consiste à se rendre présent à ce qui se passe, et donc à être à même de voir la catastrophe et ce qu’il s’agit de faire. Je suis tout à fait opposé à la méditation pour soigner son stress, être zen. Il faut arrêter de rêver que les emmerdes ne sont pas là. » La situation climatique est catastrophique. Mais en la regardant bien en face, on peut choisir comment agir, et rendre la peur constructive. »

En tant que philosophe, comment voyez-vous votre rôle ?

« Mon rôle est de dénoncer la racine de notre problème, à savoir que notre société envisage tout sous l’angle de la rentabilité et de l’efficacité. Un fleuve est vu comme une ressource, un humain est vu comme une ressource ! Notre monde arrive à sa fin tellement on instrumentalise tout. C’est un aveuglement terrible que de croire que les progrès techniques vont permettre de sauver la planète, de croire qu’en gérant mieux ça va aller mieux, alors que c’est justement l’obsession de gestion qui nous déshumanise. Comme quand on dit des gens en burn-out qu’ils ne savent pas gérer leur stress, alors que le burn-out vient justement du fait qu’ils essaient de tout gérer, qu’ils ne laissent pas la vie être là.

Nous ne respectons plus la vie, la rencontre, nous ne respectons plus l’amour, le don, la gratuité. Tout ça est complètement nié dans une sorte de folie. Et c’est en train de nous exploser au visage avec nos dégâts sur la Terre, avec l’augmentation de la souffrance au travail, celle des suicides chez les jeunes. C’est ça qu’il faut réussir à voir. Et dénoncer cela, ce n’est pas être négatif, c’est au contraire être animé par l’amour et la vie. Mon livre finit sur la révolte, une révolte non pas fondée sur la haine, mais sur l’amour. La révolte, c’est la condition humaine, car oui, il y a de l’injustice. »

C’est difficile, de changer tout seul au milieu d’un tel modèle. Comment faire ?

« Je pense que chacun doit faire ce qui est juste pour lui là où il est. Je pense que les gens qui vous disent ce que vous devez faire sont dangereux. Les diktats, ça débouche sur l’intolérance et sur d’autres catastrophes. Mais on peut vous éclairer. Moi, ma tâche, en tant que philosophe, c’est de dire aux gens : “Le problème n’est pas où vous croyez.”

  • Fabrice Midal a fondé l’École occidentale de méditation à Bruxelles. Il vient de sortir Traité de morale pour triompher des emmerdes chez Flammarion.

Retrouvez ce dossier en intégralité dans le GAEL de mai, disponible en librairie.

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