(c)Laetizia Bazzoni

Salvatore Adamo: « Je pensais que ma chance était passée et je comptais retourner aux études »

En 60 ans de carrière et bientôt 80 ans sur Terre, ce fils de mineur immigré de Sicile est devenu un symbole national. Comme si, sur plusieurs générations, les Belges s’étaient reconnus dans son humilité non feinte, sa discrétion, sa sensibilité, mais aussi son talent. Entre succès tardif et changement de vocation, Adamo revient sur ses débuts dans la musique. Par Isabelle Blandiaux. Photos: Laetizia Bazzoni.  

Sa vie ressemble à un roman. Intense, riche en rebondissements, coups du sort et rêves éveillés. Lorsque Salvatore Adamo nous narre son existence en tous points hors normes, il se connecte sans difficulté à l’enfant qu’il a été et qui a immigré en Belgique à 3 ans avec ses parents pour fuir la grande misère sicilienne. Et pour cause, ce bambin-là vit toujours en lui, à près de 80 printemps.

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Ton père a tout fait pour t’épargner son sort de mineur...

Oui, il a fait de très gros efforts pour me payer des études de journalisme à l’Ihecs, à l’Institut Saint-Luc de Tournai, d’autant que j’étais premier de classe — ceci dit en toute modestie. Donc quand j’ai décidé de m’intéresser à la musique, il n’était pas d’accord. Surtout que je m’étais fait mettre à la porte de la chorale de la paroisse Saint-Martin à Jemappes, parce que Monsieur le curé trouvait que je n’avais pas la voix de l’ange qu’il espérait... Tout comme je m’étais fait éliminer des sélections du crochet radiophonique de Radio Luxembourg à Mons. Et il a fallu qu’un membre du jury, François Chatelard, la personne à laquelle je dois sans doute le plus, dise à ses collègues qu’il fallait me repêcher parce que j’avais « quelque chose ». Et j’ai gagné le concours. Tout est parti de là, quand j’avais 16 ans. J’ai fait la surprise à mon père parce que je m’étais inscrit à son insu : on a écouté l’émission quand elle a été retransmise en février 1960. Et là, j’ai vu ses yeux briller. À partir de ce moment-là, il a pris les choses en main.

Le succès n’a pas été immédiat. Tu as failli te décourager ?

Oui. Grâce au concours, j’ai enregistré un premier disque, puis un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième, mais sans succès. J’ai considéré que ma chance était passée et je comptais retourner aux études sérieusement. Mais mon père a refusé, et c’est lui qui est allé frapper à la bonne porte, dans une maison de disques. J’ai enregistré Sans toi ma mie, titre qui m’a fait connaître en Belgique parce qu’il avait été placé dans les juke-box.

Heureusement que mon père était là, à ce moment, pour poser sa main sur mon épaule et me dire de garder les pieds sur terre. J’avais besoin de pouvoir lui dire : « Oui, Papa. » Et c’est ça qui me manque le plus aujourd’hui.

La tornade de la notoriété, les fans qui se jetaient sur toi dans les années 60, est-ce que cela t’a fait perdre pied ?

Heureusement que mon père était là, à ce moment, pour poser sa main sur mon épaule et me dire de garder les pieds sur terre. J’avais besoin de pouvoir lui dire : « Oui, Papa. » Et c’est ça qui me manque le plus aujourd’hui. Un guide. Mon père a été le seul manager que j’aie jamais eu. Quand je fais un concert, après les applaudissements, je rentre dans ma loge et je suis tout seul, face au miroir. Alors que quand mon père était là, on partageait ce que j’avais reçu du public. Bien sûr, Nicole (sa femme, NDLR) vient parfois, mais ce n’est pas systématique.

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Perdre ton père si jeune, à 23 ans, a été un moment charnière ? Tu lui rends hommage dans L’Homme de ma vie, magnifique adaptation en français d’une chanson de Pearl Jam, sur ton dernier disque.

J’ai découvert cette chanson dans le film Big Fish de Tim Burton, qui évoque un père affabulateur. Mon père était rêveur aussi. Il me disait qu’il était aviateur, que la cicatrice qu’il avait dans le dos venait d’une balle. Plus tard, j’ai su qu’il avait été soldat, mais au sol... J’ai pu également lui offrir un rêve. Il est parti la tête basse de Sicile, mais il a pu y retourner la tête haute, parce que je lui ai offert un restaurant-club là-bas. Mais il est décédé avant d’avoir eu le temps de l’inaugurer. En plus du manque, de l’absence d’une autorité dont j’avais besoin, je me suis retrouvé avec une famille avec laquelle je devais avoir de l’autorité, alors que moi, je n’en ai pas et je n’aime pas en avoir.

Matériellement, j’ai pu assumer la vie de ma famille, mais avec mes absences, je n’ai pas pu assumer une autorité qui aurait été la bienvenue avec mes cinq petites sœurs et mon petit frère. J’avais encore besoin d’un père moi-même. Et ma maman a été complètement désarmée. C’était une femme très timide, très tendre. C’est elle qui m’a inculqué cette façon de chanter un peu en retenue, quand elle chantait ses cantilènes en cousant. En plus, mon père a cru bien faire à l’époque, mais quand il y avait une interview de moi, il pomponnait mes sœurs et frère et les plaçait sur la photo. Cela leur a donné une fausse idée de l’existence. Certaines de mes sœurs ont eu du mal à rentrer dans la vraie vie.

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