© Manu Fauque

Jain: « Je ne souhaite pas rester dans mon monde »

Après une pause teintée de remise en question, l’interprète des tubes Come et Makeba revient colorer nos vies de sa pop ensoleillée et addictive, avec un 3e album plus aérien, voire céleste, The Fool, comme la carte du fou au tarot qui symbolise le renouveau. Par Isabelle Blandiaux.

En 2019, elle avait interrompu, un peu avant la fin, sa tournée de cinq ans passée par seize pays dans la foulée de son album Souldier. « J’étais vidée, ce n’était pas un burn-out mais une panne d’énergie », nous dit Jain, 30 ans, le regard pétillant et la simplicité incarnée, dans le lobby de son hôtel bruxellois. « Cet arrêt m’a fait me remettre en question en tant qu’artiste. J’ai choisi d’être maîtresse de mon temps et d’avancer à mon rythme. Quand on est dans l’œil du cyclone, on n’apprécie pas les choses de la même manière, on ne se rend pas compte de sa chance. Avec du recul, tout le chemin parcouru nous apparaît... »

Alors Jeanne Galice, née sous ce nom à Toulouse mais qui a grandi la valise au bout du bras en Afrique et aux Émirats arabes unis, s’est recentrée pour reprendre des forces. « J’avais besoin d’être chez moi (à Paris, NDLR), d’écouter de la musique, d’aller à des concerts, de voir mes amis... » Par la suite, Jain s’est isolée dans un cabanon de pêcheur marseillais pour un tête-à-tête cosmique avec la mer et le ciel. Elle y est revenue naturellement à la manière spontanée dont elle composait à 16 ans, elle s’y est laissée inspirer par le tarot de Marseille que lui tirait sa mère, par les textures pop-folk et « peace and love » seventies des vinyles de ses parents, tout en débridant son imaginaire féerique. Son 3e album, The Fool, n’en est pas moins actuel, réconfortant, à la fois introspectif (« Je suis tombée très amoureuse et cela m’a beaucoup inspirée ») et utopiste, tourné vers le monde, gonflé d’optimisme.

Sur ce disque, on retrouve ton son solaire, plein d’énergie, qui tombe dans l’oreille et nous donne envie de bouger, mais aussi des chansons plus intimes, comme le vibrant single Maria, même si ton écriture demeure très allusive.

J’aime quand les textes sont un peu métaphoriques, quand on peut utiliser des images pour dire des choses, quand le propos reste poétique malgré le thème de la chanson. Maria est clairement une déclaration d’amour. J’ai écrit ce morceau à Mar- seille en guitare-voix, juste après The Fool. Pour mes deux premiers albums, je créais d’abord des préproductions fournies, puis je mettais ma voix dedans. Ici, j’ai fait l’inverse. Le processus a été dé pouillé dès le départ et j’ai redécouvert ma voix, que nous avons mise en avant, avec mon coproducteur Maxim Nucci, sur des textures parfois plus planantes. J’ai eu l’impression de me retrouver dans ma chambre d’ado, avec ma guitare. De prendre un nouveau départ.

Entendre le clapotis de l’eau, toute seule sur un ponton, c’est nourrissant pour écrire des chansons

Pour retrouver cette sensation, tu as eu besoin de t’isoler face à la mer...

La mer et les étoiles m’ont toujours inspirée. De 9 à 18 ans, j’ai vécu à l’étranger dans des pays bordés par la mer. Il y a toujours eu cet horizon très vaste. C’est cela qui me plaisait dans ma cabane à Marseille : partir de zéro et imaginer des histoires. Me recentrer sur moi, me redécouvrir, c’est assez agréable. Entendre le clapotis de l’eau, toute seule sur un ponton, c’est nourrissant pour écrire des chansons. On a essayé de créer des nappes dans le son, d’apporter quelque chose de très vaste et en même temps très doux. C’est un album assez heureux et apaisé, en fait.

Dans quel contexte est-ce que ta maman te tirait les cartes ?

J’allais la voir quand j’avais une question. Elle me l’a beaucoup fait et cela m’a imprégnée parce que c’est un moment familial fort, au cours duquel on parle, on se confie. C’est un instant intime au cours duquel on se livre. La carte du fou est l’une de mes préférées. Parce ma mère me l’a beaucoup tirée. Et parce qu’elle signifie la prise de risque ; or, c’est ce que j’ai envie de faire en tant qu’artiste. Je ne souhaite pas rester dans mon monde, je préfère aller voir ailleurs, essayer des trucs nouveaux.

En quoi Kate Bush et Stevie Nicks, de Fleetwood Mac, t’ont-elles accompagnée dans la création de ce disque ?

Mes parents m’ont donné tous leurs vinyles parce qu’ils n’ont plus de platine. Et ma mère a toujours été fan de Kate Bush. Pendant le confinement, j’ai tout écouté, sa voix très aiguë, sa proposition artistique très forte... Ils avaient aussi des albums de Prince, Bowie, Ziggy Stardust, Fleetwood Mac, Joan Baez... Dans le son et les mélodies, j’ai trouvé du réconfort. Cela a infusé en moi et j’ai eu envie d’apporter une touche seventies modernisée, d’emmener les gens dans un trip, de les faire voyager.

Le réchauffement climatique me fait très peur et je voudrais plus m’imposer sur ces thématiques sociétales

La question de l’équilibre et du funambulisme est dans tout l’album, en particulier sur The Fool et The Balance. Toi aussi, tu marches sur une corde ?

Nathan Paulin, un grand slackliner qui a relié la tour Eiffel et le palais de Chaillot sur un fil dans les airs, m’a donné des cours. C’est difficile et ce qui m’a impressionnée, c’est de voir à quel point c’est méditatif : être sur une corde est la métaphore de plein de choses. On cherche tous l’équilibre. Dans la slackline ou le funambulisme, on essaye de se centrer sur son corps, mais aussi sur son esprit. C’est un sport assez incroyable. C’est hyper poétique. Et magique.

Certaines chansons parlent d’hypertechnologie (Take a Chance) ou des sans-voix (To All the People). Notre monde change tellement vite, c’est une façon de le marquer ?

Take a Chance vient de ce monde où la data est très importante. Quand un nouvel artiste arrive aujourd’hui, les maisons de disques checkent le nombre de ses followers. Idem quand on veut regarder un film sur une plateforme, on choisit souvent ceux qui nous sont proposés. Idem pour la musique. J’avais envie de dire : prenons des risques et allons écouter du métal, des choses qui surprennent. Les algorithmes cloîtrent la créativité... To All the People parle des sans-voix qui sont la majorité dans la société. J’ai voulu écrire une chanson sur un gang d’amoureux, de gens qui croient que c’est encore possible de sauver le monde. C’est aussi une chanson pour tous les amoureux qui se sentent un peu seuls.

Ta voix est davantage mise en avant sur ce 3e album. Est-ce que tu as aussi envie d’être plus entendue, d’un point de vue militant ?

Oui, autant sur le plan féministe qu’écologiste, parce que le réchauffement climatique me fait très peur et je voudrais plus m’imposer sur ces thématiques sociétales. Parler de cela dès que je peux en interview. J’ai aussi écrit une bande dessinée sur l’environnement et la sur-consommation, CityZen. Dupuis m’a approchée pour me proposer ce projet et j’ai tout de suite pensé à ma grande sœur pour travailler avec moi, parce qu’elle est fan de BD depuis très longtemps. Elle a une énorme culture en la matière. Et moi, j’adore raconter des histoires.

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