Succès fulgurant: Angèle doit-elle craindre « l’effet Stromae »?

Notre rencontre avec la jeune chanteuse nous a confortés dans l’idée que si sa carrière est fulgurante, son esprit l’est tout autant. Les idées fusent, le flot de paroles est généreux et spontané. Elle se livre et assume. Parce qu’elle est légère et lucide à la fois. Interview d’après Myriam Leroy.

Est-ce que ça a encore du sens de sortir un album en 2018? Plutôt que des chansons plic ploc?

Tu me l’aurais demandé il y a deux ans, j’aurais dit non. Mais aujourd’hui, sans album, tu travailles un peu dans le vide. Si tu veux une tournée, faire des concerts, c’est mieux de s’appuyer sur beaucoup de morceaux. D’autant que le milieu est encore très traditionnel et que les labels, les tourneurs s’attendent à ce que tu proposes un vrai disque. Et puis j’aimais bien l’idée d’avoir un fil conducteur là-dedans plutôt que de livrer des chansons disparates. En réécoutant des albums que je n’avais jamais écoutés en entier, dont j’avais consommé les morceaux par-ci par-là, je me suis rendu compte que si un artiste avait écrit un album, c’était qu’il avait quelque chose à dire en douze chansons plutôt qu’en un single.

Tu ne crains pas l’overdose pour le public? Et pour toi?

Ben moi, j’ai du mal à voir à quel point je suis présente parce que je ne suis pas beaucoup en Belgique et quand je le suis, je ne suis pas vraiment dans la réalité, je suis tout le temps dans un contexte qui ne me permet pas de tomber sur moi dans les médias. En fait, moi, je me suis peut-être entendue trois fois à la radio.

Non, sérieux?

Si, si, vraiment. Je me suis entendue le jour de la sortie du morceau La Loi de Murphy. Ça, c’était incroyable, comme sensation. Après, je me suis entendue dans la voiture d’une pote qui me ramenait à Bruxelles, je l’ai regardée avec un grand sourire et elle m’a dit: «Ouais, ça passe tout le temps.» Et je me suis entendue il y a quelques jours, dans un resto.

« Il faudrait que je parte un peu en vacances quand même, parce que j’ai pété quelques câbles dernièrement. »

Comment tu fais pour tenir ce rythme? Il suffit de faire un tour sur ton Instagram pour constater que tu es tout le temps en train de bosser.

C’est con, mais j’ai 22 ans, et c’est un âge où je sens que j’ai beaucoup d’énergie. Et je ne fais plus trop la fête. Il y a deux ans, je faisais la fête tous les soirs, tout le temps, et je me rendais compte qu’à part ça, je ne faisais pas grand-chose de ma vie. C’était quand je me calmais que j’avais des idées et que je faisais des choses intéressantes artistiquement. Donc oui, j’ai une hygiène de vie, mais pas un truc drastique. J’aime vivre comme ça, dormir un maximum, ne pas trop sortir... et faire ce métier que j’aime. Ceci dit, il faudrait que je parte un peu en vacances quand même, parce que j’ai pété quelques câbles dernièrement.

Quel genre de pétage de câbles?

Des moments où je cassais tout dans ma loge après un concert qui s’était mal passé...

Tu casses vraiment tout dans ta loge? Comme les stars du rock qui saccagent leurs chambres d’hôtel?

Oui, je sais, c’est ridicule! C’est arrivé une fois. Je crois que c’est important de le dire aussi, que la pression peut devenir si intense, la fatigue tellement présente que ça peut pousser n’importe qui à bout. Il suffit d’être un peu plus vulnérable, de dramatiser un couac technique et on se retrouve comme un con à porter une chaise au-dessus de sa tête pour la jeter à l’autre bout de la pièce. Je te dis pas la gueule de mon mec quand il m’a vue faire ça. Je n’étais pas du tout crédible! Alors j’ai déposé la chaise.

Ton équipe loue pourtant ton incroyable capacité à retomber sur tes pattes en cas de problème technique...

Ça dépend, en fait. Ça peut t’abattre ou te stimuler. Mais quand ça arrive à cinq concerts consécutifs, tu perds un peu de ressources quand même. J’ai fait le choix d’une musique assez électronique, où l’ordinateur est capital, donc quand il plante quand je suis sur scène, je suis obligée d’assurer... Ce que je fais dans ce cas, c’est le dire aux gens. Ça crée une forme d’empathie ou au moins d’indulgence. Ensuite, il faut essayer de rendre le moment cool pour eux. Leur dire: «Oh, mais c’est l’occasion de vous faire ce morceau-là pour la première fois en piano-voix...» Ils sont contents parce qu’ils assistent à un truc unique. Et moi aussi, parce que je me suis mis un nouveau challenge.

« Je suis bien consciente que les complaintes des artistes à succès sont difficilement recevables. »

Mais quelle pression...

Un jour, l’ordi n’a pas voulu démarrer lors d’un concert où les gens n’étaient pas vraiment là pour moi, et je me suis sentie complètement à poil devant eux. C’est là que j’ai fait ma petite crise de diva dans la loge.

Est-ce que tu crains le syndrome Stromae, l’atterrissage forcé pour cause de sursollicitation?

Je ne sais pas. J’ai regardé une interview de lui il n’y a pas longtemps, dans Hep Taxi! Ça faisait longtemps qu’il ne s’était plus exprimé, c’était assez touchant. À un moment, il a dit un truc qui m’a marquée: «On n’a pas le droit de se plaindre...» C’était à interpréter dans tous les sens: à la fois on ne nous autorise pas à nous plaindre et à la fois on a peu de raisons de nous plaindre. C’est vrai que c’est un métier de privilégiés, surtout dans les conditions dans lesquelles je l’exerce. Il y a l’univers des backstages qui fait rêver le public. Et puis le fait que pour que tu puisses faire ton métier, tout le monde fait en sorte que tout aille bien, que tu aies à manger, que tu n’aies pas froid, que tu ne sois pas fatigué... Mais en même temps, tu es sollicité tout le temps, on presse ton jus. Et il y a tout ce que les gens ne voient pas: les heures de stress, les moments de doute, les bugs, les problèmes de planning... Mais je suis bien consciente que les complaintes des artistes à succès sont difficilement recevables. Et donc après cette interview de Stromae, mon père nous a envoyé un e-mail très touchant à mon frère et moi en nous disant qu’il l’avait vue et qu’il ne nous cachait pas qu’il était inquiet pour nous, lui qui avait aussi connu un début assez fulgurant. Il écrivait: «On est quelques années plus tard, mais j’ai l’impression que ça a doublé de vitesse, la manière dont les projets se développent. Prenez soin de vous, écoutez-vous, reposez-vous...»

Retrouvez cet article en intégralité dans le nouveau magazine d’octobre, disponible en librairie.

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