Renan Luce: « Même les sentiments sombres ont toujours une part de lumière »

Il nous avait habitués à des chroniques pop décalées et acidulées, il revient avec un 4e album en forme de mise à nu qui porte son nom, enregistré avec un orchestre. Un disque de rupture, dans tous les sens du terme. PAR ISABELLE BLANDIAUX.

Le retour de Renan Luce

Son univers gonflé de fraîcheur, de délicatesse et de second degré, à l’esthétique sixties, avait séduit un large public lorsqu’il avait publié Repenti (2006) avec le single du même nom ou encore Les Voisines et La Lettre. D’autres histoires tout aussi espiègles étaient nées de son imagination poétique, comme La Fille de la bande, On n’est pas à une bêtise près (générique du film Le Petit Nicolas) ou le plus confidentiel Appelle quand tu te réveilles il y a cinq ans. Alors qu’il s’est consacré dans la foulée à un projet parallèle, la tournée musico-théâtrale Bobines ! avec son frère Damien, Renan Luce, 39 ans, revient sous un jour nouveau.

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Son 4e opus porte son nom. Il l’a écrit à cœur ouvert mais non sans pudeur, avec les émotions qui l’ont habité ces dernières années depuis sa séparation avec Lolita Séchan (la fille de Renaud, pour qui il écrit des textes). Ce disque change également de tonalité musicale et renoue avec la chanson française traditionnelle des années 60 et 70 à l’ampleur orchestrale.

Pourquoi cette mise à nu aujourd’hui ?

La sincérité s’est imposée d’elle-même. Après avoir écrit une première chanson sur la séparation, j’étais soulagé et je me disais que c’était fait. Puis une deuxième et une troisième sont venues sur ce thème. Au début, je luttais un peu en me disant que je n’allais pas composer un album qui ne parlait que de cela. Finalement, je n’ai pas pu faire autrement parce que ces sentiments venaient gratter et obstruaient mon champ de vision. Je constatais aussi que d’une certaine manière, cela me faisait du bien, cela me permettait de voir les choses avec distance et bienveillance. J’arrivais à faire quelque chose de ces émotions, alors qu’à la base, j’avais l’impression de ruminer en boucle.

Vous semblez être quelqu’un de très discret. Écrire sur vous, ça a été compliqué ?

Avec le bagage artistique que j’ai aujourd’hui, j’arrive à mieux manier ces sentiments personnels. Avant, j’aurais aimé mettre mes tripes sur la table, mais je sentais que ce n’était pas encore le moment, que cela risquait d’être un peu sirupeux. Ici, je ne balance pas ma détresse à la figure des auditeurs, ma démarche reste minutieuse, ciselée. La seule chose qui m’a fait douter, c’était de devoir dire que cet album parle de ma séparation en interview. Mais en tant que grand amoureux de la chanson, je sais que beaucoup de mes pairs que je vénère traitent de la rupture amoureuse. C’est un bon terrain.

« J’avais à cœur d’exprimer une histoire personnelle dans une démarche artistique qui est tout autant personnelle. »

Ce disque a été votre façon de transformer le négatif en positif ?

Oui. Je voulais de la vie, du rythme, de la bossa nova. J’ai longtemps eu la sensation d’écrire un album un peu lourd. Mais je suis aussi quelqu’un de léger et je voulais apporter cet aspect-là. Même les sentiments sombres ont toujours une part de lumière. J’avais à cœur d’exprimer une histoire personnelle dans une démarche artistique qui est tout autant personnelle. C’est pour cela que j’ai opté pour une forme orchestrale. Pour moi, c’est une musique intime, celle de mon enfance, celle dans laquelle je suis à l’aise. J’ai eu l’impression de revenir à mes essentiels. L’orchestre est une caisse de résonnance. Si on veut être honnête avec ces émotions très fortes, on a plutôt envie de les crier que de les chuchoter.

D’où vous vient votre goût pour les années 60, musicalement très présentes sur cet album ?

J’ai eu un gros coup de cœur pour Brel vers 13-14 ans. La grande chanson a connu un âge d’or dans les années 60 et mes goûts se sont forgés comme ça. J’écoutais aussi pas mal de musique classique, mon frère est d’ailleurs pianiste classique. Mes parents m’ont emmené voir Nougaro et Trenet, mais aussi des concerts classiques quand j’étais enfant.

J’aime la distance liée à la démarche des spectacles de cette époque : Yves Montand, les comédies musicales américaines (Chantons sous la pluie, Hello, Dolly!...) qui combinent humour et romantisme, parlent des sentiments mais avec élégance et une forme de détachement, de sourire en coin. Cette approche me correspond. Mais je ne voulais pas tomber dans le disque d’hommage à une époque parce que j’y apporte des sentiments actuels et universels.

« C’est une période propice pour faire le bilan, pour comprendre d’où on vient parce que c’est notre socle pour avancer dans la vie. »

Autre élément universel que vous évoquez notamment dans Au Début : le temps qui passe et nous échappe. Vous êtes nostalgique ?

On est tous sujets à ces allers-retours. Comment étais-je avant ? Qu’est-ce qui perdure, qui grandit et qu’est-ce qui s’est brisé, qui s’étiole ? Qu’est-ce qu’on oublie ? Je suis à un âge où j’ai plus de recul sur ce genre de questions-là. C’est une période propice pour faire le bilan, pour comprendre d’où on vient parce que c’est notre socle pour avancer dans la vie.

Vous évoquez votre enfance sur ce disque. Ça faisait partie du bilan ?

C’est né de la tournée que j’ai montée avec mon frère il y a quelques années, Bobines !, un spectacle théâtral autour de mes chansons réorchestrées, avec des dialogues sur notre enfance, notre lien, notre découverte de la musique, nos parcours... Je me suis replongé dans cette thématique avec bonheur, en constatant que cette courte période de notre vie définissait encore quasi complètement ce qu’on est aujourd’hui. Des rencontres et des apprentissages se sont ajoutés, mais mine de rien, on ne change pas tant que cela.

Retrouvez cet article en intégralité dans le GAEL d’octobre, disponible en librairie.

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