De X-Files à The Handmaid’s Tale: ces séries qui font avancer le féminisme

Florence Hainaut, qui rend les questions de genre et de droits des femmes accessibles au grand public, entre autres dans On n’est pas des pigeons, nous raconte comment, sur les écrans, l’effet Scully a supplanté le syndrome de la Schtroumpfette.

Passer le test

Si les écrans proposent aujourd’hui une palette de personnages complexes et divers, pendant des décennies, les femmes ont dû déployer des trésors d’imagination pour trouver des modèles un peu plus galvanisants que des femmes au foyer buveuses de Martini et des adolescentes qui rêvaient d’intégrer l’équipe locale de pom-pom girls. Avant de parler des séries qui font avancer les choses et qui donnent à voir des représentations féminines un peu plus en phase avec la réalité, je voulais vous expliquer pourquoi, en 2023, les héroïnes sont encore souvent si insipides. Je comptais vous parler du syndrome de la Schtroumpfette. Rappelez-vous que cette délicieuse créature a été concoctée par Gargamel pour semer la zizanie chez les petits bleus. Dans la recette, on trouve ( je cite) « un brin de coquetterie, une solide couche de parti pris, une cervelle de linotte, un quarteron de mauvaise foi et une part de sottise ».

Le syndrome qui porte son nom décrit le phénomène qui consiste à baser les histoires autour des personnages masculins et d’y mettre, mais vraiment pour dire que, une femme. Elle n’est jamais le moteur du récit. C’est particulièrement flagrant dans les films d’action, où la femme sera en plus habillée d’une combinaison si moulante et de talons si hauts qu’on se demande bien comment elle peut courir derrière un méchant. Qui sauve le monde en soutien-gorge et chignon banane, franchement ? Sur les affiches de ce type de films, les héros posent face à l’objectif. La femme, elle, est de dos, le tronc tourné vers l’objectif. Une audacieuse posture qui permet de voir à la fois ses fesses et ses seins, ce qui laisse présager de son utilité dans le récit. Et qui doit faire le bonheur des ostéopathes parce que niveau confort, c’est quand même pas génial...

« Le test de Bechdel consiste à se poser trois questions simplissimes : « Dans ce film / cette série, y a-t-il au moins deux personnages féminins portant un nom ? Ces deux femmes se parlent- elles ? Et si oui, se parlent-elles d’autre chose que d’un homme ? » »

Je voulais aussi vous parler du test de Bechdel, qui consiste à se poser trois questions simplissimes : « Dans ce film / cette série, y a-t-il au moins deux personnages féminins portant un nom ? Ces deux femmes se parlent- elles ? Et si oui, se parlent-elles d’autre chose que d’un homme ? » Avatar, Blanche-Neige, la trilogie Star Wars et Le Seigneur des anneaux ne passent pas ce test. Je comptais vous parler de tout ça et de bien d’autres choses. Et puis, en questionnant des femmes de tous âges, j’ai réalisé que malgré une longue période de disette en matière de role model, chacune avait au fond d’elle une héroïne qui l’accompagnait, lui tenait chaud et la motivait. C’est donc d’elles toutes dont j’ai finalement décidé de vous parler. Et cet article passe largement le test de Bechdel, pour info.

L’EFFET SCULLY

En 1993, quand X-Files et surtout Dana Scully débarquent sur les écrans de télévision, c’est une petite révolution. Cette médecin devenue agent du FBI, incarnée par l’actrice Gillian Anderson, ne ressemble à aucune héroïne de l’époque. C’est une femme scientifique, sans lunettes à double foyer et qui n’est pas socialement inapte. Intellectuellement, elle met la pâtée à son collègue Fox Mulder (David Duchovny), qui est impulsif et excentrique. Sans elle, Sarah Sépulchre, professeure à l’UCLouvain et spécialiste des séries, aurait sans doute choisi une autre voie : « Elle a été majeure dans mon développement. Quand j’étais ado, j’étais une intello et je faisais tout pour le cacher, je surjouais la rebelle pour ne pas correspondre au personnage un peu pathétique que proposaient les séries de l’époque. » Quand Scully arrive, brillante, cartésienne et sûre d’elle, c’est la révélation : « Elle m’a permis d’accepter cette facette de moi. Sans elle, je n’aurais jamais accepté mon premier poste de chercheuse. » L’impact du personnage est tel qu’on parle d’effet Scully, soit une augmentation des inscriptions des jeunes filles dans les filières scientifiques. En 2018, une étude du Geena Davis Institute, aux États-Unis, vient confirmer qu’il est bien réel.

Les femmes qui ont regardé X-Files ont 50 % plus de chances de travailler dans le domaine des sciences et des technologies. Et pour près des deux tiers de celles qui y travaillent, Dana Scully a été un modèle. Rien de nouveau sous le soleil : les produits culturels que nous consommons façonnent notre vision du monde et de nous-mêmes. Un modèle positif auquel s’identifier peut s’avérer salvateur. De la série Friends,  ça n’est pas Rachel et son impeccable brushing qui sont cités comme inspirations, mais Phoebe. Delphine, 39 ans, a reçu une éducation « bien bourgeoise, judéo-chrétienne, pleine de tabous. Me détacher de ça, même pour des trucs anodins, ça n’a pas été évident. Cette femme pétillante et dingue qui se moque de l’avis des autres a été une bulle d’inspiration ».

DE SECOND RÔLE À ROLE MODEL

« Même si les choses évoluent doucement, il reste une norme installée depuis longtemps qui traverse les séries », explique Barbara Dupont, chercheuse en genre et séries télé à l’UCLouvain et à l’Ihecs. Les personnages féminins centraux sont souvent homogènes : des femmes blanches, minces, hétérosexuelles, jeunes, urbaines. Et surtout, même au fin fond de leur dépression ou après trois mois de détention : sexy. « On a beaucoup de représentations de la femme sexualisée, comme un joli objet passif qui ne fait pas avancer la narration. » Se voir dépeindre comme des bibelots, moins dignes de respect et d’intérêt que les héros, « vient valider encore et encore l’idée que certains groupes sociaux sont là pour remplir des rôles secondaires ». Or, il suffit parfois de pas grand-chose pour influencer la trajectoire d’une vie. Comme celle de Lola, 55 ans : « Les séries américaines de ma jeunesse m’ont aidée à garder l’espoir qu’il existait d’autres modèles familiaux que le mien. Autour de moi, je ne connaissais pas de femmes financièrement indépendantes de leur mari, ma mère n’avait pas d’accès au compte en banque. Devant la télé, je me suis jurée de ne pas dépendre d’un homme. »

« Quand Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda parlent masturbation, homosexualité, non-désir d’enfant et joies du célibat dans Sex and the City, c’est délicieusement novateur »

En 1997, Buffy, jouée par Sarah Michelle Gellar, répond à tous les canons de beauté de l’époque. Mais son truc à elle, c’est dézinguer des vampires. Les gamines, comme Mélanie (38 ans) et Aurélie (34 ans), n’en reviennent pas. « L’idée que ce soit une femme qui soit la plus forte, qui réussisse à combattre les méchants... » se rappelle Mélanie. Ses parents refusent de l’inscrire à la boxe. Adulte, elle s’y met enfin. Alors que les héros de Beverly Hills 90210 n’existent qu’à travers leurs histoires de cœur, le mètre soixante-trois de la tueuse de vampires offre un modèle autrement plus intéressant. « C’est la première fois que je voyais une héroïne qui avait un autre but dans la vie que trouver un prince charmant », analyse Aurélie. « L’amour, c’est le sujet numéro un de la fiction, rigole Sarah Sépulchre. Ça donne l’impression qu’on n’existe pas en dehors du couple. Et pas n’importe quel couple : hétérosexuel, avec des rôles très traditionnels, un désir de mariage — à l’initiative de l’homme — puis de maternité. Le kit complet. » Quand Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda parlent masturbation, homosexualité, non-désir d’enfant et joies du célibat dans Sex and the City, c’est délicieusement novateur. « Elles m’ont aidée pendant mes séparations, explique Cécile, 48 ans. J’ai pris conscience qu’on pouvait être heureuse, avec un travail intéressant tout en n’ayant pas de vie de couple, ce qui était pourtant la norme à l’époque. » Reste qu’elles finissent toutes les quatre mariées dans la dernière saison, comme si c’était le seul happy end possible... « Mais la série a permis une ouverture de discussion sur la sexualité qui était bienvenue, relativise Sarah Sépulchre. En 1999, le monde n’était pas au courant que le clitoris existait ! »

Onze mille terminaisons nerveuses uniquement dédiées au plaisir, ça change la vie. Tout comme la possibilité de se projeter dans des personnages qui nous correspondent quand on ne ressemble pas à Kelly ou Brenda. « Lena Dunham, dans Girls, qui se balade à moitié à poil en permanence, sans s’excuser de ne pas avoir un corps maigre et tonique... » se réjouit Nadine, 47 ans. Le modèle de Pauline, 28 ans, et « autant d’années dans le placard » (sic) : « Le personnage de Rosa Diaz dans Brooklyn 99, quand elle fait son coming out bi. J’aurais aimé avoir des amis comme les siens et son courage. »

Découvrez cet article en intégralité dans le GAEL de mars, disponible en librairie.

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