© Enzo Orlando

Lucky Love :“J’ai toujours pensé que l’homme était la figure de faiblesse”

Lucky Love un artiste pop à l’intensité hors norme, révélé au monde lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques. Par Isabelle Blandiaux.

À 32 ans, il a déjà eu mille vies. Danseur, plasticien, acteur de théâtre et de cabaret, Luc Bruyère s’est brûlé les ailes avant de se transformer en Lucky Love ...

Qui est Lucky Love ?

Un feu ardent. Un magnétisme tourbillonnant. Ce corps qui lui a valu la souffrance et le rejet dans la cour de récré (il est né avec un seul bras), il l’habite aujourd’hui avec une force vitale décuplée, une présence scénique hypnotique. Originaire de Lille, il a commencé la danse à 5 ans avec la chorégraphe Carolyn Carlson comme professeure et a signé un duo époustouflant avec la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot à l’Opéra de Paris. Il a collaboré avec les plasticiens Olafur Eliasson et Kader Attia, s’est produit travesti dans un cabaret parisien comme la « Vénus de mille Hommes »… avant de trouver sa voie/voix en tant qu’auteur, compositeur et interprète.

Il pensait s’appeler Peter Love, référence à Peter Pan (« J’aimais l’idée d’être enfant de l’amour »), Lucky Love s’est finalement imposé, portant en lui le surnom que lui a donné sa maman.

Son premier album I Don’t Care if it Burns mêle des rythmes chatoyants à une dose massive d’amour, de sensibilité et de chaleur humaine grâce au gospel. Dans la langue de Shakespeare, fidèle à ses racines britannico-kabyles et soucieux d’universalité. « J’ai grandi avec la pop anglo-saxonne, nous dit-il. Pour moi, ce qu’il y a de magnifique dans le phénomène pop, c’est de dévoiler des idées. Et les partager au plus grand nombre. J’ai toujours pensé qu’un artiste est un témoin de son époque. Et je ne veux pas être le témoin d’un territoire, mais du monde. »

Tu es actuellement en tournée ; qu’est-ce que tu vis sur scène ?

Lucky Love : « Je m’y sens chez moi, j’y ai le droit d’exister dans toute ma complexité. J’ai le sentiment d’y être enfin moi-même. Comme si c’était en dehors de la scène que je portais un déguisement, un costume. La scène m’offre cet endroit de vérité, de communion. J’ai toujours rêvé d’appartenir à la société, à l’humanité. En concert, je sens que c’est réussi. »

C’est la danse qui t’a d’abord fait sentir que le regard sur toi pouvait être sublimé ?

Lucky Love : « Exactement. J’ai compris très tôt que c’était mon échappatoire. La scène me permet de transformer ce qui dans la vie était un handicap en un outil par lequel je peux délivrer des messages plus grands que moi. Je peux agir pour que mes traumatismes soient au service des autres et qu’après le show, les gens repartent remplis d’amour, donc prêts à en distribuer. »

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Ton lien avec la Belgique est fort, puisque tu as quitté la maison familiale à 14 ans pour étudier à Saint-Luc, à Tournai…

Lucky Love : « Quand je suis arrivé à Tournai, j’ai commencé à être en vie. Je rêvais d’émancipation, je savais que cela me permettrait de retrouver plus de joie. Il ne faut pas se méprendre, j’ai un foyer rempli d’amour, j’ai grandi avec ma maman, ma sœur, mes tantes, des femmes que j’aime énormément. Mais j’avais besoin d’aventure. Et Saint-Luc était ma première grande aventure. C’était la première fois aussi que j’avais des amis, qu’un corps professoral me permettait de m’exprimer. Dans un cadre assez magique : Saint-Luc, c’est Poudlard. Cela a changé ma vie. Au concours d’entrée, je me suis dit que c’était comme dans Fame. C’était une épiphanie pour moi. »

Puis tu es venu vivre à Bruxelles…

Lucky Love : « En effet, dans un kot place Sainte-Catherine et je faisais les allers-retours pour aller à l’école à Tournai. J’avais un amour des grandes villes et de la musique électronique, donc j’avais envie d’aller voir ce qu’il s’y passait. Et Bruxelles est un endroit de fête : je suis allé me brûler les ailes, la nuit, dans les fêtes bruxelloises. »

Tu gardes quel souvenir de cette période d’abus, avec la désintox à la clé ?

Lucky Love : « Cela a été une période sombre mais nécessaire, parce qu’elle m’a permis de me mettre face à ma tristesse, que j’évitais depuis trop longtemps. Et face à mes questionnements. La drogue m’a permis ça. Visiter un endroit d’obscurité chez moi pour après à nouveau apprécier la lumière pour ce qu’elle est. Je ne le regrette pas du tout, parce que je l’ai fait très jeune et, très vite après la désintox, cela n’a plus jamais fait partie de ma vie. Je suis un de ces toxicomanes qui n’ont jamais eu l’envie ou le besoin d’y retourner. Parce que j’ai réglé ce que j’avais à régler.

Cela a été une période sombre mais nécessaire, parce qu’elle m’a permis de me mettre face à ma tristesse, que j’évitais depuis trop longtemps.

C’était une étape de vie liée à l’adolescence. Mon être adulte n’a pas été touché par la drogue ni les excès. Parce que j’avais déjà fait cela et je savais où cela menait. Et j’étais prêt à être en vie dès la fin de ma désintox, le jour de mes 19 ans. »

Apprendre ta séropositivité a aussi été un électrochoc qui t’a fait remonter vers la vie ?

Lucky Love : « Le VIH est une petite mort qu’on porte en soi, parce qu’aujourd’hui, on vit très bien avec le VIH. À l’époque, je ne le savais pas. Les premières images qui me sont venues sont celles du film Philadelphia, des homosexuels dans les années 90… J’ai eu très peur de mourir. Surtout de mourir sans avoir rien fait de cette vie. Je me suis promis que je ne me retrouverais jamais sur un lit d’hôpital sans de jolis souvenirs en tête. J’étais prêt à partager ma vulnérabilité, à ne plus en avoir honte. »

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Ensuite, quand tu as fait du cabaret chez Madame Arthur, à Paris, tu as exploré la performance maximale. Cela t’a aussi libéré ?

Lucky Love : « Oui, Madame Arthur est un cabaret historique, un lieu politique de liberté sans concession, un laboratoire incroyable, où tout expérimenter sans jamais se sentir jugé. Cela m’a libéré. De par mon bras, je ne me sentais pas tellement accueilli par la communauté LGBT, parce que les canons de beauté homosexuels masculins sont régis par la masculinité toxique, donc l’image d’un homme hétéronormé, avec des muscles et une grosse voix. Pour la première fois, je me suis retrouvé dans un endroit LGBT qui célébrait tout ce que j’étais. Cela m’a donné beaucoup de confiance en moi.

J’ai toujours pensé que l’homme était la figure de faiblesse, parce que j’ai grandi entouré de femmes et je connais leur force.

Et être une femme pendant quelques instants, cela remet les choses à leur place. J’ai toujours pensé que l’homme était la figure de faiblesse, parce que j’ai grandi entouré de femmes et je connais leur force, qui n’est jamais mise en étendard, donc elle demande une humilité folle. »

La chanson n’était pas une direction que tu envisageais au départ ?

Lucky Love : « En effet, j’étais censé danser et jouer la comédie. J’ai fait le cours Florent et joué au théâtre avec Béatrice Dalle et JoeyStarr dans Elephant Man de David Bobée. Puis le cabaret a lié la comédie et la musique. À un moment, j’ai compris que je n’avais plus envie d’entrer dans un costume pour pouvoir chanter. Parce que la musique me révèle à moi-même et j’ai envie d’être moi-même devant mon public. C’est comme ça que je me suis retrouvé à devenir Lucky Love. »

Qu’est-ce qu’il reste de Luc Bruyère en toi ? Lucky Love, c’est Luc en prince flamboyant ?

Lucky Love : « (Rires.) Lucky Love est une hyperbole de moi. Tous mes traits exacerbés. Mais ce n’est pas un déguisement, c’est plutôt une mise à nu. Je ne suis jamais aussi vulnérable que quand je suis mon personnage public. Celui-ci est finalement ce qu’il y a de plus privé en moi. C’est sur scène et dans mes chansons que je m’autorise à dire ce que je ne dis pas dans la vie. Lucky Love, c’est mon choix, c’est tout ce que je suis, moi. Et peut-être que le personnage, c’est Luc. »

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Ton premier album est né à Los Angeles. En quoi était-ce le bon endroit pour l’écrire ?

Lucky Love : « Je voulais écrire d’un endroit de rêve parce que pour moi, la musique est un rêve de l’humanité. Los Angeles a vu passer toutes mes idoles. Je voulais visiter ce lieu pour comprendre ce qu’il leur a donné d’amour et de grandiloquence musicale. J’ai pu aussi en apercevoir la complexité. Chaque lumière a derrière elle une obscurité. Quand j’ai découvert le quartier de Skid Row, dont je parle dans la chanson du même nom, où vivent tous les rejetés du glamour, j’ai compris qu’il y avait un revers à la médaille. Cela m’a touché encore davantage. »

Pourquoi as-tu hésité quand on t’a proposé de te produire lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques l’été dernier ?

Lucky Love : « Je suis en quête de sens. Donc, je me demandais : est-ce bien sensé d’être ce chanteur en situation de handicap qui vient chanter pour la cérémonie des athlètes en situation de handicap ? Je trouvais ça un peu « obvious ». Cela manquait de délicatesse. Puis j’ai vu la cérémonie d’ouverture des JO et j’y ai trouvé de la diversité. Donc j’ai voulu en être. »

Le fait qu’un titre personnel comme Masculinity, sur les codes de la virilité et le droit à la différence, soit devenu un hymne pour des gens en Iran, en Ukraine ou aux USA, cela te fait quoi ?

Lucky Love : « C’est le plus beau des cadeaux. Quand je m’offre au monde dans ma vulnérabilité la plus totale, le monde me répond. Mes problèmes personnels sont donc aussi les problèmes du monde. Cette chanson, c’était un saut dans le vide pour moi. Et tout en bas, une armée entière de bras m’a recueilli avec tellement de douceur. C’est comme ça que je le vis. Cela me donne envie de sauter encore et encore. »

  • Album I Don’t Care if it Burns (Belem Music/Turenne Music – Wagram). En concert le 3/8 au Ronquières Festival et le 22/8 aux Solidarités à Namur.

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