Marie Gillain:  » À tout juste 47 ans, je regarde mon parcours bien en face »

Notre Guest du mois, l’actrice Marie Gillain, nous a ouvert les portes de son monde. Avec émotion et admiration, on a rencontré une star qui embrasse ses choix et sa filmographie avec un regard engagé et généreux, profondément ancré dans sa vie de femme. Par Juliette Goudot. Photos: Laetizia Bazzoni.

Marie Gillain en vrai

Marie Gillain, c’est d’abord une voix, rafraîchissante et claire comme une rivière l’été. C’est aussi une allure pleine et juvénile, la féminité gourmande, le sourire désarmant sous un regard à la fois enfantin et douloureux. C’est tout cela qui explosait l’écran de notre adolescence lorsqu’on la découvrait à 15 ans balancer ses répliques à Gérard Depardieu dans Mon père, ce héros. Le charme de Marie Gillain est immédiat, mais la séduction n’a jamais été son moteur : « Chaque fois que j’ai essayé d’aller dans la séduction, ça n’a pas marché. On ne peut pas aller contre sa nature. » À 47 ans tout juste, aujourd’hui mère de deux filles de 18 et 13 ans, elle salue l’« énorme coup de chance d’être entrée dans le cinéma par la grande porte », mais se garde bien d’être une « ultra-actrice » lorsqu’on évoque l’icône Monroe pour les soixante ans de sa disparition : « Marilyn, c’était l’ultra-féminité, elle s’était créé un personnage à la fois fascinant et emprisonnant. »

Marie Gillain est restée la fille de ses parents (sa mère est l’illustratrice belge Nadine Fabry, son père est un commercial artiste dans l’âme), partis élever leurs deux filles dans une ferme du pays de Herve au cœur des années 70, avec un atelier créatif dans le grenier et des poules qui gambadent dans la cour. « J’ai grandi la morve au nez, avec les enfants du village, je suis une vraie fille de la campagne », raconte Marie pour évoquer l’enfance. Pourtant, quand on la voit débarquer dans l’appartement parisien qui nous accueille pour l’interview, en robe estivale et chaussures plates, on ne peut s’empêcher d’avoir le trac, tant cette fille-là a su sublimer ses rôles au cinéma (chez Tavernier, de Broca, Klapisch...) ou sur les planches en Vénus à la fourrure qui lui offrait le Molière de la meilleure comédienne en 2015. Avant qu’elle ne rejoigne le tournage d’une minisérie criminelle (Délits mineurs, où elle campe une juge), Marie Gillain nous a accordé ce long entretien pour évoquer la vie qu’elle s’est choisie, parce que « c’était le théâtre ou rien ».

En 2011, tu t’es battue pour obtenir le rôle dans le film Toutes nos envies de Philippe Lioret, adapté du livre D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. Quelles qualités personnelles étaient nécessaires pour le rôle de cette juge condamnée par la maladie ?

Avec ce film, il m’est arrivé quelque chose de très rare : avoir l’intime conviction de soi dans un rôle à la lecture du scénario. Pour une fois, c’était un personnage féminin de 35 ans qui n’était pas une jeune première, ni « la femme de », et dont les enjeux étaient puissants. La maladie donnait du poids au personnage. J’ai mis mon orgueil de côté pour convaincre Philippe Lioret, qui ne pensait pas à moi au départ. Je n’ai pas lâché pas le morceau, j’en faisais une obsession. Ça a marché pour ce film, mais ça ne marche pas toujours.

« J’ai parfois la frustration de ne pas avoir assez tourné, mais j’ai donné beaucoup de temps et beaucoup de présence à mes enfants »

Ce rôle touchait quoi de profond chez toi ?

La question de savoir ce qu’on va transmettre à ses enfants, la question de la perte. Si on vous dit que dans six mois, vous n’êtes plus là, c’est tout d’un coup très bouleversant.

Et toi, que penses-tu avoir transmis à tes enfants ?

Tout d’abord un toit, ce qui pour moi est le plus important aujourd’hui avec la précarité qui nous entoure. Et puis je leur ai donné beaucoup de temps. À tout juste 47 ans, je regarde mon parcours bien en face. J’ai parfois la frustration de ne pas avoir assez tourné, mais j’ai donné beaucoup de temps et beaucoup de présence à mes enfants. J’espère aussi que je leur laisserai une forme de fantaisie.

Tu es mère de deux filles. Comment se transmet la féminité selon toi et quelle place tient, dans la construction de ta féminité, la pièce La Vénus à la fourrure – d’après un roman de Sacher-Masoch, le père du masochisme, et où tu tiens le rôle d’une séductrice ?

La Vénus, ça a été une bombe dans ma vie. Car à ce moment-là, j’avais perdu une forme de désir et la passion de mon métier. J’avais beaucoup dit non à des projets lucratifs, je me suis écartée d’un certain confort matériel. J’assume ces choix, mais ça n’était pas toujours évident. La Vénus m’a reconnectée de façon purement organique avec mon métier. J’ai dû aller chercher très loin en moi dans un rôle qui littéralement dépote. Et le fait d’avoir exploré cette puissance féminine au travers du personnage de Vanda m’a donné une sensation d’exaltation. La symbiose avec le metteur en scène Jérémie Lippmann, mon partenaire Nicolas Briançon et toute l’équipe artistique m’a réveillée.

« Finalement, La Vénus, c’était une façon de dire « Je vous emmerde» »

Comment définirais-tu cette puissance féminine ?

C’est une féminité qui pousse les hommes dans leurs retranchements, qui ne fait pas de concession à la gent masculine, mais qui la questionne, la cuisine et la violente un peu parfois, même si ça reste ludique. La Vénus, c’était juste avant #metoo et ça a été une façon de me réapproprier l’idée de la femme-objet.

Tu as fait la couverture du magazine Lui en posant seins nus dans ce sens, pour te réapproprier la question du désir ?

Si c’était à refaire, je ne sais pas si je recommencerais, mais je suis contente d’une chose : on m’a donné la possibilité de choisir le titre de l’article. Et j’ai dit : « Je veux qu’il soit écrit “Putain d’actrice”. » Pour moi, ça voulait tout dire. Les actrices ont été considérées pendant des années comme des putains. Dans l’histoire du cinéma français, les femmes ont longtemps été dévalorisées par rapport aux hommes, dans leur âge, dans leur corps, même s’il y avait bien sûr quelques rôles magnifiques. Finalement, La Vénus, c’était une façon de dire « Je vous emmerde. » (Elle rit, et on rit avec elle.)

SON ACTU

  • À la folie, d’Andréa Bescond et Éric Métayer (prochainement sur M6).
  • Quand tu seras grand, d’Andréa Bescond et Éric Métayer, avec Vincent Macaigne (prochainement au cinéma).
  • Délits mineurs, minisérie de Nicole Borgeat (tournage cet été en Suisse).
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