Rencontre: Caroline Taillet, auteure et réalisatrice de « La Théorie du Y »

Dans « La Théorie du Y », elle explore le chemin sinueux et jalonné de questions de la bisexualité, à travers une histoire qui fait écho à la sienne. GAEL a rencontré Caroline Taillet. PAR FLORENCE HAINAUT. PHOTOS: OPHÉLIE LONGUÉPÉE.

CAROLINE TAILLET (31 ANS), COMÉDIENNE, METTEUSE EN SCÈNE ET RÉALISATRICE DE LA THÉORIE DU Y, LA WEB-SÉRIE LA PLUS VUE DE LA RTBF

« Quand j’avais 16 ans, je suis tombée amoureuse d’une fille et je pensais que j’étais lesbienne. Vers 18‐19 ans, je suis tombée amoureuse d’un garçon. Je n’avais jamais entendu parler de bisexualité et je me suis dit qu’il fallait que je choisisse. Je me souviens même que je pesais le pour et le contre. Les arguments partaient dans tous les sens, c’était un peu n’importe quoi : “J’aime bien être avec une fille, on peut s’échanger nos fringues. Mais avec un garçon, on peut plus facilement faire un bébé.” J’étais vraiment perdue. Et puis, au début de la vingtaine, j’ai commencé à me renseigner. J’ai écouté Ani DiFranco, une chanteuse américaine bisexuelle, l’une de mes premières références. Là, j’ai rapidement compris. Mais au fond, je crois que je l’ai toujours su. Par exemple, quand je sortais avec une fille, je ne voulais pas que ça se sache. Pas parce que j’étais honteuse, mais parce que j’avais peur qu’on me catégorise lesbienne, or je sentais bien que je n’étais pas que ça.

C’est via des rumeurs que ma mère a appris que je sortais avec une fille. J’avais environ 20 ans. Elle m’a appelée, je m’en souviens comme si c’était hier. Elle m’a dit qu’elle était au courant. Je pleurais tellement que je n’arrivais pas à parler. Elle a sauté dans sa voiture et elle est venue. Je lui ai donné une lettre que je n’avais jamais osé lui donner avant. Elle a pleuré, elle m’a dit qu’elle était fière de moi et que je me batte pour ma différence. 

« Mon père m’a demandé si, vraiment, j’avais sexuellement tout essayé avec les hommes. Je crois que j’ai ri dans mes larmes »

Mon père, je lui ai aussi écrit une lettre, mais deux ou trois ans après l’avoir dit à ma mère. J’ai attendu d’être avec un homme, peut‐être inconsciemment pour lui prouver que c’était possible aussi. J’avais peur de sa réaction, mais je voulais qu’il sache qu’il avait loupé des étapes de ma vie. Je pleurais quand je lui ai donné ma lettre. Il a commencé par me demander si, vraiment, j’avais sexuellement tout essayé avec les hommes. Je crois que j’ai ri dans mes larmes. Puis il m’a dit que ça le décevait, déjà que je faisais des études de théâtre, mais bon, qu’il acceptait et qu’il y avait des choses qui le rendaient plus triste dans la vie. Attention, tout n’était pas négatif, j’en ai retenu quelques phrases fortes, mais c’était sur le coup. Maintenant, ça va mieux ! Mon père, ce n’est pas le genre de personne qui parle beaucoup, mais il est venu voir ma pièce de théâtre sur la bisexualité (La Théorie du Y) plusieurs fois, il a emmené ses collègues, sa famille. C’est sa manière de me montrer qu’il est fier. S’il a eu des mots maladroits, c’est parce qu’il n’a pas su comment communiquer.

« J’ai vu tellement de jeunes qui se  reconnaissaient dans la pièce et qui me remerciaient de se sentir enfin représentés »

La Théorie du Y, avant d’être une web‐série, c’est une pièce de théâtre écrite pour mon mémoire de fin d’études à l’IAD (Institut des arts de diffusion). Elle raconte la découverte de la bisexualité par une jeune fille de 24 ans qui se bat pour comprendre ce qui lui arrive. Un sujet que je connais, forcément. En sortant des études, j’ai monté et mis en scène la pièce. C’était il y a six ans. On a joué pour des écoles, on m’a demandé d’aller témoigner et du coup, j’ai pris l’habitude d’en parler publiquement. J’ai vu tellement de jeunes qui se  reconnaissaient dans la pièce et qui me remerciaient de se sentir enfin représentés ! Mais aussi beaucoup de jeunes qui jugeaient et qui étaient choqués. Un jour où on jouait au Théâtre de Poche, un producteur est venu et m’a proposé de passer le concours web‐série de la RTBF. J’y ai travaillé avec un ami, Martin Landmeters. On a gagné ce concours et la première saison a eu 2,5 millions de vues (NDLR: toutes plateformes de diffusion confondues – Auvio, Facebook, Youtube), c’est énorme. On nous a demandé une deuxième saison.

« Dans les séries, ça commence un peu à bouger. C’est important qu’on crée des modèles, que des gens puissent s’y retrouver »

Avec la pièce, puis la série, on a eu des tas de témoignages, des gens qui nous remercient parce qu’ils ne se sentaient pas normaux avant de la voir. Ça booste. Et ça m’a aidé à réaliser que si j’avais mis des années à comprendre que j’étais bi, c’est parce que je n’avais pas de références auxquelles m’identifier. À qui on s’identifie quand on est bi ? Il y a quelques personnages, comme Piper, l’héroïne de la série Orange is the New Black. Dans les séries, ça commence un peu à bouger. C’est important qu’on crée des modèles, que des gens puissent s’y retrouver.

En résumé, on pourrait dire que j’ai mis du temps à comprendre et à parler du fait que je suis bisexuelle. Et maintenant, la moitié de mon boulot, c’est de le raconter ! »

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  • Les premiers épisodes de la deuxième saison de La Théorie du Y, de Caroline Taillet et Martin Landmeters, sortent le 17 octobre sur le site de la RTBF.
Retrouvez notre dossier complet « S’aimer sans définition » dans le GAEL de novembre, disponible en librairie.

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