Rencontre avec Clara Luciani, nouvelle étoile de la pop française

À la fois vulnérable et joyeusement féroce, l’artiste de 25 ans signe un premier album puissant, personnel, qui interpelle. Une Sainte-Victoire sur la vie et le chagrin d’amour entre rock, disco, électro et chanson française. Par Isabelle Blandiaux.

Clara Luciani, femme flamme

Silhouette longiligne de 1 mètre 82 surmontée d’un large sourire désarmant, Clara Luciani est une guerrière à sa façon. «Hey toi, qu’est- ce que tu regardes? T’as jamais vu une femme qui se bat?», dégoupille-t-elle sur le morceau La Grenade. Si l’on se rencontre ce jour-là, au kiosque du parc Royal de Bruxelles, c’est grâce à sa persévérance, qui lui a permis de sortir un premier album («Ça a été un combat, je partais de vraiment loin; c’est dur de croire en soi, mais c’est la seule solution») au titre symbolique, Sainte-Victoire. Victoire sur la tristesse. Victoire sur le chagrin d’amour qui l’a mise en pièces. Victoire sur l’enfant exclue qu’elle a été. Victoire sur la vie («Je viens d’une famille très modeste, d’un endroit où ce n’était pas trop permis de faire de la musique»). Sur la table, à côté de son téléphone à coque de panda et de ses écouteurs Marshall, un livre de Colette, Le Blé en herbe. Musicienne, compositrice, auteure, Clara est aussi une grande lectrice qui s’imaginait d’abord devenir écrivaine et qui voue une obsession aux proses de Colette, Marguerite Duras, Annie Ernaux... D’autres icônes flamboyantes ont nourri son disque «au féminin singulier»: Nico, PJ Harvey, Barbara... Et même la madone, figure marquante de ses racines italiennes et corses.

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Écrire un album, pour toi, c’était forcément une mise à nu?

Oui, je ne l’envisageais pas autrement. Je ne suis pas très forte pour inventer des histoires. Je ne sais parler que de ce que je vis, d’amour, de choses universelles dans lesquelles chacun peut se reconnaître. J’essaie d’être assez directe. J’écris en même temps la musique et les paroles et en principe, je ne les retouche pas. Ce qui compte pour moi, c’est que cela ressemble à ma façon de parler. Quand c’est trop travaillé, je trouve qu’on perd en authenticité. Un des sujets de l’album est le chagrin d’amour. Quand ça nous arrive, on a l’impression que ce n’est jamais arrivé à personne. C’est tellement dévastateur. Avec le recul, on se rend compte que c’est en fait d’une banalité folle. Moi, c’est ça qui m’a poussée à écrire des chansons. Je me disais qu’il m’arrivait un truc qui était trop grand. Il fallait que j’en parle.

C’était pour te guérir aussi?

Oui, vraiment. Quand j’ai commencé à écrire des chansons d’amour en français, ce n’était pas dans le but de les chanter devant un public. J’étais chez mes parents et je venais de me faire quitter lamentablement. Je n’avais pas d’autre issue que d’écrire ces chansons-là, un peu comme un journal intime. Sans penser que quelqu’un les entendrait un jour. Et cela m’a vraiment sauvée. Je suis très pudique mais à un moment, j’ai eu envie de rendre tout ça public. Pour une raison qui m’échappe un peu. Je pense que cela faisait simplement partie de mon travail de reconstruction. Quand on commence à parler, on se déleste. À un moment, cela ne m’appartenait plus, quelque part.

« Dans une relation d’amour vrai, on se trouve, on se rend meilleur l’un l’autre. On ne disparaît pas. »

C’était un premier amour?

Oui, je crois que je n’aimerai plus jamais comme j’ai aimé cette personne, et tant mieux. Parce que c’était une relation dans laquelle je me perdais alors que dans une relation d’amour vrai, on se trouve, on se rend meilleur l’un l’autre. On ne disparaît pas. Mais quand on est jeune, on n’a pas de point de repère. Et quand on est passionnée comme moi, on va droit dans le mur sans se rendre compte qu’on se fait du mal.

Comme tu as commencé la musique tôt, tu n’as pas pu faire d’études supérieures?

Malheureusement non. Juste un an d’histoire de l’art. Ce n’est pas quelque chose qui m’empêche de dormir, mais c’est un regret. Mes parents avaient fondé beaucoup d’espoirs en moi à ce niveau-là. Mais ils ne pouvaient pas m’aider. Si je montais à Paris pour la musique (elle vient de la région de Marseille, NDLR), je devais travailler pour me payer un logement. J’essaye de compenser en restant curieuse. En me nourrissant le plus possible de livres. J’ai aussi un grand appétit d’images. J’ai tout le temps des peintures en tête, mon propre musée imaginaire. Par exemple, pour mon adaptation de La Baie (The Bay de Metronomy, NDLR), j’ai pensé à Gauguin et au Douanier Rousseau, à leur exotisme. Comme si je consultais des références, en flash. J’étudiais l’art byzantin, j’ai donc fait beaucoup d’analyses d’iconographies religieuses, d’images de la sainte Vierge qui m’ont marquée.

Le féminin imprègne également ton album.

C’était voulu ou cela s’est fait naturellement? Cela a été naturel. J’ai 25 ans et je suis en train de prendre conscience des enjeux de ce que c’est qu’être une femme. Ce que la société attend de nous. J’avais aussi envie de parler de mes sen- sations, de ma façon d’expérimenter mon corps. Je voulais qu’on sente la sensualité féminine. Je trouvais ça beau que cela soit un propos central. J’ai beaucoup lu Annie Ernaux l’an dernier, qui évoque la féminité d’une façon inouïe et magni- fique, notamment dans Mémoire de fille, où elle parle de sa première fois, de ses expériences. Si je devais dédier ce disque à quelqu’un, ce serait à Annie Ernaux.

Retrouvez cette rencontre en intégralité dans le GAEL de juin, disponible en librairie!

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