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Zaho de Sagazan: « Les gens libres m’ont toujours fascinée »

L’autrice-compositrice-interprète de 23 ans impose son langage singulier et percutant sur son premier album, La Symphonie des éclairs, entre chanson poétique émouvante et boucles lancinantes, entre maux de l’âme en miroir et danse cathartique. Par Isabelle Blandiaux.

Alors on pense

Elle a surgi en une déflagration dans le monde de la chanson, un peu extraterrestre, à balancer des mots graves articulés sur des synthés et des rythmes binaires, bouleversante dans sa façon de partager ses émotions en toute sincérité, fascinante dans sa transe scénique théâtralisée. Avec son (vrai) nom d’héroïne d’épopée romantique, Zaho de Sagazan, Française de 23 ans (Saint-Nazaire), a peaufiné son premier album, La Symphonie des éclairs, « de manière obsessionnelle » pendant cinq ans. Seule d’abord, puis avec des copains producteurs. « Je savais qu’il resterait mon premier album à vie, j’en ai tenu compte. Je suis extrêmement exigeante avec moi-même », nous dit-elle. Alors Zaho a pris le temps de poser chaque mot au bon endroit, de peser chaque boucle dark. Pas de bavardage ni de son superflu, ses incantations vont à l’essentiel, nous touchent en plein cœur et animent nos corps.

Son propos est à la fois intime et universel : l’urgence climatique (La Fontaine de sang), la violence dans le couple (Les Dormantes), l’amour et ses tourments (Suffisamment, Dis-moi que tu m’aimes), les fantasmes (Les Garçons, Mon inconnu, Je rêve), les confidences (Tristesse, Mon corps)... Dans le mille. Les dates de tournée se multiplient. Un emballement qui lui fait un peu peur, confie-t- elle avant de poursuivre : « Mais je suis entourée par des gens qui ont hyper fort les pieds sur terre. On va jouer dans des Zéniths en France, ce qui est insensé. Sur le coup, tout le monde a pris une claque, mais la seconde d’après, on trouvait quoi mettre en place pour bosser et proposer un show à la hauteur. On est tous obsédés par la qualité. La notoriété peut rendre sale, le fric aussi, et je n’ai aucune envie de tomber là-dedans. »

Avoir grandi avec un père artiste plasticien libre et clivant (Olivier de Sagazan), cela t’a forgée ?

Avoir un papa artiste aussi libre, cela met plein de vérités dans la vie. Passer toutes ses journées à créer, cela a du sens, c’est normal. Et puis il n’a fait aucune concession dans son art, que les gens adorent ou détestent. Cela m’a appris à avoir foi dans ce que je fais, à y croire et à aller au bout. Les gens complètement libres m’ont toujours fascinée.

Comment la musique est-elle entrée dans ta vie ?

Par étapes. D’abord avec ma grande sœur Tali, qui a dix ans de plus que moi. Elle faisait du chant lyrique et ensemble, on chantait tout le temps The Phantom of the Opera. Puis elle est partie faire ses études, moi j’ai commencé la danse. Le piano, j’y ai mordu vraiment après, vers 13 ans. À la maison, on avait droit à trente minutes d’ordinateur par jour, donc je découvrais l’ennui. Le piano a été une révélation : en en jouant, j’ai su que je ne m’ennuierais plus jamais. C’est devenu une obsession. Je me suis remise à chanter. Environ un an après, j’ai découvert la passion des mots, de la langue française, celle de raconter des histoires.

J’ai vu dans la chanson l’occasion de passer un temps fou à choisir les bons mots et de me faire comprendre

Tu cites beaucoup d’influences belges : Brel, Stromae et Soulwax en électro...

Vers 15 ans, quand j’ai dit à ma maman que j’écrivais des chansons, elle m’a conseillé d’écouter Brel et Barbara, leurs mots, leurs façons de les prononcer. Voir Brel en concert, avec juste son corps et un micro, cela m’a marquée. Idem pour le live de Racine carrée de Stromae, sur YouTube. Par la suite, j’ai pris des claques en découvrant Soulwax et Kraftwerk.

Tu chantes les tempêtes, les émotions vécues intensément... C’est de toi que tu parles ?

S’il y a bien une chanson qui parle de moi, c’est La Symphonie des éclairs. Je suis aujourd’hui un peu moins déboussolée par mes émotions, mais toute mon adolescence et jusqu’à 20 ans, j’ai fait une longue crise. Je pleurais énormément, j’étais très sensible et mal dans ma peau. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait dans ma tête, dans mon cœur. J’ai eu l’impression d’être incomprise parce que je n’arrivais pas à m’exprimer. J’étais sans arrêt en train de réfléchir, mais j’avais du mal à mettre des mots sur mes émotions, parce que je bégayais très vite, j’avais des larmes qui coulaient. C’était hyper frustrant. J’ai vu dans la chanson l’occasion de passer un temps fou à choisir les bons mots et de me faire comprendre. Cela m’a donné la possibilité également de mieux me comprendre moi-même.

Il y a une forme de transe dans ta musique et quand tu es sur scène : une catharsis ?

Oui, s’exprimer autant, laisser autant passer ses émotions dans mon métier, forcément, ça me libère. Et je me demande comment je serais si je ne libérais pas tout cela. Cela ferait sans doute de très grosses tempêtes à certains moments.

Dans Mon corps, tu parles de tes complexes adolescents. Tu as fait de ton corps un outil, aujourd’hui ?

J’ai toujours été fascinée par la science, la médecine, le fait de regarder le corps comme une machine intéressante. Et en même temps, de manière contradictoire, je le regardais comme une statue faite pour être observée. Ce qui a bousillé ma confiance en moi à l’adolescence, c’est que j’ai pris quinze kilos en un an et demi. J’ai donc détesté mon corps et j’ai toujours un gros problème avec lui. C’était mon ennemi, je ne considérais pas ce que je lui donnais de bon pour le nourrir et comme affection. J’avais besoin de lui demander pardon dans cette chanson.

  • Album La Symphonie des éclairs (Universal). En concert les 5/8 à Ronquières, le 22/11 au Reflektor (Liège — complet) et le 6/12 à La Madeleine.

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