Arno: « Si tout le monde était comme moi, on serait dans la merde »

Le lonesome cow-boy ostendais fête ses 70 ans avec un nouvel album melting-pot surréaliste, Santeboutique, déflagration énergétique ponctuée de plages de mélancolie où le « chanteur de charme raté » dévoile sa vulnérabilité. PAR ISABELLE BLANDIAUX. PHOTO: DANNY WILLEMS.

Arno, optimisme nostalgique

Symbole du surréalisme belge à lui tout seul, Arno s’est inventé ses propres langues. Un langage musical international viscéral, impulsif, instinctif, qui part du ventre et sort comme un cri rauque libérateur sur scène. Et un langage quotidien émaillé de blagues, d’expressions colorées et de « bazar » qui remplace d’autres mots à l’envi, reçu cinq sur cinq en Belgique et déchiffré avec plus de difficultés outre-Quiévrain. Avec son premier groupe Tjens Couter, puis le mythique TC Matic, ensuite Charles et les Lulus, The Subrovniks, Arno à la française, Charles and the White Trash European Blues Connection... le rockeur au grand cœur se renouvelle sans cesse depuis plus de quatre décennies et une trentaine d’albums studio.

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Sur Santeboutique, un mot « qu’on utilise au nord de la France, au sud de la Flandre mais aussi dans le Limbourg » et qui signifie « bazar » ou « brol », on vibre sur des sonorités eighties électriques façon TC Matic, on est décoiffé par une urgence rock sans concession et on est retourné par des racines blues bien ancrées. Produit par son complice, le Britannique John Parish (PJ Harvey, Eels...), ce nouveau disque alerte sur la situation politique, évoque le couple en mode humoristico-chaotique, raconte son amour indéfectible pour Ostende et explore les gouffres dépressifs de cet « optimiste qui a des soucis » ainsi que sa dépendance à l’alcool, qu’il soigne grâce à la scène. « La tournée, pour moi, c’est la vraie vie... », dit-il.  Rencontre avec le fringant septuagénaire dans le salon vintage de l’Ancienne Belgique, qu’il se prépare à secouer plusieurs soirs en janvier.

Ce qui surprend en écoutant cet album, c’est l’énergie, la rage brute que tu gardes depuis toujours. Quel est ton secret ?

J’écris des chansons comme je parle. Au moment même. C’est très impulsif. Hier, par exemple, j’ai écrit une chanson en dix minutes. J’étais sur une terrasse pas loin de chez moi, et c’est venu comme ça. J’ai toujours été impulsif aussi dans ma vie. Et j’en paye la facture de temps en temps, parce que je peux regretter certaines choses. Mais quand on pense trop, on perd l’énergie, donc je dois accepter le revers de la médaille. Je ne peux pas vraiment expliquer cette façon de fonctionner. Elle est peut-être liée à une forme d’autisme chez moi.

« Mon yoga à moi, c’est de chanter. J’ai de la chance d’avoir trouvé ça. »

Tu as toujours eu du mal à entrer en contact avec les autres ?

Dans le temps, à l’école, les gens me trouvaient toujours un peu bizarre. Surtout quand un nouveau copain arrivait dans le groupe. Je ne parlais pas. Ceux qui me connaissaient disaient simplement : « Arno, il est comme ça. » Oui, c’est de l’autisme. Parce qu’avant, je bégayais aussi. Maintenant, c’est presque parti, je n’y pense plus. C’est aussi à cause de cet autisme que je  suis devenu chanteur de charme raté. Quand on chante, on ne bégaye pas. C’est lié à la respiration. L’air vient naturellement du ventre. Quand on parle, l’air vient de la gorge, de la poitrine, et alors on bégaye. Je conseille toujours aux bègues de faire des exercices de respiration, comme en yoga. Je n’ai jamais fait de yoga. Mon yoga à moi, c’est de chanter. J’ai de la chance d’avoir trouvé ça.

Est-ce que tu as conservé en toi la révolte de tes 20 ans ?

Ouais. Je le dis depuis un certain temps : on vit comme dans les années 30. J’appartiens à la première génération qui n’a pas connu la guerre en Europe. Mon père a vécu une guerre mondiale et mon grand-père deux. Je suis un post-war child, puisque je suis né en 1949. J’ai eu la chance de vivre une période incroyable, les années 60-70. C’est la première fois dans l’histoire que les jeunes se sont révoltés contre un système et ont créé une culture à partir de leur révolution, en musique, en mode, etc. On allait à Katmandou en stop. On ne peut plus faire ça aujourd’hui (rires). On a découvert la liberté sexuelle avec la pilule, c’était incroyable. À l’époque, on pouvait te refuser l’entrée dans un restaurant parce que tu avais les cheveux longs ou parce que tu portais un jeans. C’était en soi une révolte. On a oublié tout ça. Maintenant, j’ai fait des enfants et je suis devenu grand-père, mais certains de mes petits-enfants font peut-être des études pour apprendre des métiers qui n’existeront plus dans cinq ans. Tout change très vite.

« Mon but n’est pas de changer les gens par ma musique. D’ailleurs, si tout le monde était comme moi, on serait dans la merde... »

Dans They are coming, tu parles de la situation politique. « They », ce sont les fascistes ?

Oui, c’est un constat que je dresse. Ils arrivent, je le sens et je ne suis pas le seul. Par exemple, c’est incroyable de voir un mec comme Donald Trump à la tête des États-Unis. Mais le peuple a voté pour lui ! Il avait aussi voté pour Hitler. L’être humain fait des guerres et des enfants, se marie et divorce... Je parle de cela dans mes chansons. On vit dans une « santeboutique » pour le moment.

Comment as-tu réagi en voyant les résultats des élections dans ta ville natale, Ostende ?

Il faut demander ça aux gens qui ont voté pour les extrémistes. Quand j’étais jeune, on parlait cinq langues à Ostende : ostendais, français, allemand, anglais et néerlandais. Les menus des restaurants étaient écrits en quatre langues. Même les noms des rues étaient en néerlandais et en français, comme à Bruxelles... Il n’y a plus de pêcheurs et il n’y a pas d’industrie, donc les Ostendais doivent vivre du tourisme. Je ne comprends pas, mais je constate. Mon but n’est pas de changer les gens par ma musique. D’ailleurs, si tout le monde était comme moi, on serait dans la merde...

Mais en même temps, tu es devenu une sorte de symbole pour la Belgique parce que tu es polyglotte, tu viens du Nord mais tu habites à Bruxelles...

Oui, je n’ai pas de frontières. La Belgique est tellement petite. Si on fait 50 km vers le nord, on arrive en Hollande et si on fait 50 km vers le sud, on arrive en France. Bruxelles-Ostende en train  dure aussi longtemps que Bruxelles-Paris. On est à Londres en moins de deux heures. Le père de ma grand-mère était anglais et sa mère française. J’ai aussi un Hollandais dans mes ancêtres. J’ai plein de nationalités dans mes veines.

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