Témoignage: Prisca, victime d’inceste, a souffert d’amnésie traumatique

« J’ai longtemps eu un goût amer en bouche lorsque je pensais à mon enfance. Il y a avait quelque chose qui clochait sans que je puisse mettre de mots dessus. Je n’ai jamais pensé que j’avais été maltraitée, agressée et violée. Par contre, je sentais bien que mon enfance était différente de celles des autres ados que je côtoyais. »

Prisca a aujourd’hui 22 ans. Durant douze longues années, l’amnésie traumatique a enfui les souvenirs douloureux de son enfance au plus profond de sa mémoire. Jusqu’au jour où certains mots ont été déclencheurs d’une révélation...

Après l’horreur, l’oubli

« J’ai consulté une psychologue en août 2017 à cause de crises d’angoisse répétées, j’en faisais de très grosses. J’avais donc 18 ans et j’étais extrêmement fragile. Ma psychologue a tout de suite remarqué mon état. Je lui ai confié me sentir sale, et elle m’a répondu cette phrase que je n’oublierai jamais : « Cela me fait penser aux victimes d’agressions sexuelles. » Tout est alors revenu.

« Il a suffi que cette psy me dise cette phrase pour que tous ces souvenirs reviennent. »

J’ai revu ma grand-mère enfoncer ses doigts dans mon vagin et jouer avec mes parties intimes quand elle me lavait. J’ai également revu mon père me montrer son pénis dans la pénombre de ma chambre. Il a suffi que cette psy me dise cette phrase pour que tous ces souvenirs reviennent. J’ai tout revécu une deuxième fois, même plus fort. »

Quand l’amnésie se lève

Bien que d’abord découverte chez les soldats traumatisés par les combats, les victimes de violences sexuelles dans l’enfance sont les plus touchées par l’amnésie traumatique. Elle concernerait 50% des enfants ayant subi l’inceste. Ce mécanisme de défense psychique, qui provoque une perte de mémoire totale ou partielle, peut durer des mois, voire des années. Mais quand l’amnésie se lève, les souvenirs traumatiques peuvent réapparaitre de manière très brutale, faisant revivre les souvenirs avec les mêmes sensations et émotions.

« Ce réveil traumatique a été un cataclysme dans ma vie. À partir de là, mon état s’est empiré, j’ai commencé à me mutiler sévèrement, à m’isoler, à avoir une phobie sociale et scolaire. Je revoyais ces souvenirs avidement chaque jour. Il y avait énormément de détresse, car je ne comprenais pas pourquoi ça m’arrivait à moi. Sur la durée, je peux dire que ça a également été un soulagement, celui de pouvoir enfin nommer cette chose qui me perturbait lorsque je pensais à mon enfance. C’était une libération pour moi de me dire « Prisca, ce n’était pas une idée ». Je n’en ai pas parlé pendant un an. En 2018, j’ai fait trois tentatives de suicide, et après la troisième, je me suis confiée à ma prof de français de l’époque par écrit. Ça m’a énormément soulagée. »

Des délais de prescriptions inadaptés

L’amnésie traumatique complique drastiquement les procédures judiciaires. En effet, les plaintes tardives, difficiles à traiter, finissent le plus souvent classées sans suite. En cas d’amnésie totale, il n’est pas rare que la justice juge à tord ces souvenirs subitement retrouvés de fausses allégations.

« La justice a énormément de retard en ce qui concerne ce sujet, ce qui amène les victimes à se renfermer sur elles-mêmes. Plus le temps passe, plus on rumine. Et lorsqu’on voit que notre plainte n’est pas prise en compte, on prend ça comme une véritable claque en pleine figure, on se sent doublement salie. »

« Entre 2 et 3 enfants par classe subissent l’inceste. »

« Il y a un message que j’aimerais faire passer : il y a entre 2 et 3 enfants par classe qui subissent l’inceste. J’aimerais donc que les établissements scolaires fassent de la prévention sur ce sujet et que les personnes d’autorité (profs, directeurs, parents) écoutent les enfants. S’ils ont un doute, qu’ils aillent fouiller. Et pour les personnes qui vivent la même chose, je leur dirais de consulter. Au début, on pense ne pas en avoir besoin, mais sur la durée, cela s’avère être essentiel. On a besoin d’un socle, quelque chose à quoi se raccrocher, et les psychologues qui s’y connaissent en traumatologie peuvent énormément nous aider. Il ne faut jamais avoir honte, il y a les victimes : nous, et les coupables, c’est tout. »

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