Cécile de France © laura stevens unifrance agence.

Cécile de France: “J’ai envie de tourner encore plus en Belgique”

Cécile de France est à l’affiche de Dalloway, un thriller parano — véritable défi d’actrice — autour de l’intelligence artificielle, où elle donne (virtuellement) la réplique à Mylène Farmer. Par Juliette Goudot.

Entretien avec Cécile de France

Alors qu’elle s’apprête à tourner en Alsace une série policière pour Netflix dont elle ne veut encore rien dire (on saura juste que Top of the Lake, créée par l’Australienne Jane Campion, est sa série « préférée »), l’actrice belge qui vit dans la campagne française « sur la route de la Belgique » nous a accordé un entretien téléphonique pour parler de son dernier film, Dalloway, de Yann Gozlan (adapté du roman Les Fleurs de l’ombre de Tatiana de Rosnay). Elle y campe Clarissa, une écrivaine à succès qui intègre une résidence d’écriture équipée d’intelligence artificielle et qui se rend peu à peu compte qu’elle est surveillée.

Pour le rôle de Clarissa, vous dites vous être beaucoup inspirée du jeu de Pierre Niney. Dans quel sens ?

Cécile de France: « Yann Gozlan est un maître du thriller en France et j’avais très envie de travailler avec lui. J’ai vu ses précédents films, notamment Un homme idéal (sur un écrivain imposteur, NDLR) et Boîte noire avec Pierre Niney. Ils viennent d’ailleurs d’en tourner un troisième ensemble, Gourou (où Niney incarne un coach en développement personnel, NDLR). À chaque fois, j’étais bluffée par le talent exceptionnel de Pierre Niney. Fabriquer un thriller en tant qu’acteur, c’est un travail d’horlogerie émotionnelle extrêmement minutieux. L’acteur doit pouvoir incarner toute la palette de l’angoisse et naviguer dans ce prisme qui va de l’épuisement à l’obsession et jusqu’aux frontières de la folie. Ce que fait Pierre Niney me subjugue. Seul un travail de ce niveau peut permettre une identification aussi forte avec le spectateur. Il faut bien avoir en tête qu’un thriller, c’est embarquer le spectateur dans un voyage mental, c’est le rendre actif dans la quête du film, même si c’est éprouvant pour lui. »

Et pour l’actrice que vous êtes, c’était éprouvant ?

Cécile de France: « C’est très énergivore. La fabrication du thriller demande une concentration énorme et une sincérité absolue, on ne peut pas tricher, ça crée de la dopamine ! Le thriller est une question de rythme très subjectif, car on vit chaque seconde avec le héros ou l’héroïne qui nous embarque dans sa quête, et le réalisateur doit avoir suffisamment de matière au montage pour que ça marche. Si une image manque, ça ne fonctionne pas. J’ai compris que Yann avait toute cette grammaire dans la tête et que parfois, un plan sur une poignée de porte est aussi important que ce que vous devez jouer. Chaque plan compte. Ça apporte le plaisir du challenge, du dépassement de soi et un sentiment de satisfaction qu’on partage avec l’équipe. Sur le tournage, j’étais très proche de Yann, mais aussi de notre maquilleuse, Kattje Van Damme. Il fallait qu’on comprenne que Clarissa est un personnage qui se vide peu à peu de sa substance. Les scènes étaient très intenses, mais le défi nous a galvanisés. »

Vous êtes amatrice de thrillers vous-même comme spectatrice ?

Cécile de France: « J’adore ça. Des films comme Old Boy de Park Chan-Wook (2003), Mystic River de Clint Eastwood (2003), Le Sixième Sens de M. Night Shyamalan (1999) ou Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud (1986) m’ont marquée, très jeune, dans le lien quasi organique qu’on crée avec le personnage principal.Vous avez également tourné avec Clint Eastwood dans Au-delà, en 2011. »

Quel souvenir marquant gardez-vous de lui ?

Cécile de France: « Sa façon d’être, qui m’a servi de modèle. C’est quelqu’un de très simple et de très joyeux. Il est peu démonstratif, mais il diffuse beaucoup d’amour et de paix intérieure, ça se voit et ça crée une harmonie autour de lui. En revanche, quand on tourne, il est très rapide. Au début, c’est un peu déstabilisant, et puis on y prend goût. »

Dalloway porte un regard critique sur l’intelligence artificielle (IA). Quel rapport avez-vous avec l’IA ?

Cécile de France: « Avant de préparer le rôle, je n’étais pas à l’aise avec cette technologie. Pour moi, c’est contre-instinctif. Pour combler ces manques, je me suis beaucoup documentée, j’ai regardé des reportages sur Arte, lu des articles, des livres comme Nexus (« Une brève histoire des réseaux d’information, de l’âge de pierre à l’IA », de l’historien Yuval Noah Harari, NDLR). Tous ces intellectuels disent que malgré notre fascination pour l’IA, nous devons prendre conscience des risques. Tout d’abord parce qu’elle nous dépasse intellectuellement, nous les humains sapiens qui avons une boîte crânienne pour limite. L’IA échappe à notre compréhension, à notre contrôle, ça crée une menace, une angoisse face à la possibilité d’être dépossédés de notre humanité. On se demande quelle sera l’étape d’après, si l’IA se dote d’une conscience, ou d’un corps organique. Après, je crois que la vraie question, c’est : à qui profite-t-elle et comment ? Est-ce dans un but de pouvoir pour une poignée de millionnaires ou pour toute l’humanité ? L’IA questionne aussi la vie privée, le consentement, l’exploitation, c’est vaste et ça crée des angoisses réelles. »

Je lis un scénario comme je découvre un livre. Il y a d’abord le plaisir de la découverte, puis vient la réflexion.
Avez-vous rencontré Tatiana de Rosnay, l’autrice du roman dont s’inspire Dalloway ?

Cécile de France: « Je l’ai seulement rencontrée au dernier Festival de Cannes lorsque le film a été présenté. J’ai voulu me concentrer sur le scénario. De semaine en semaine, à chaque lecture, je découvrais une couche en plus, une richesse dans les rouages du thriller. Ça m’a habitée. »

Comment était-ce de collaborer avec Mylène Farmer, qui prête sa voix à Dalloway ?

Cécile de France: « J’ai su assez vite qu’elle prêterait sa voix et j’ai tout de suite trouvé l’idée géniale. Mylène Farmer est quelqu’un d’envoûtant, de mystérieux, et la découvrir par sa voix plutôt que son visage correspond à son univers. Je l’ai rencontrée ensuite en amont du tournage, car toutes ses répliques étaient enregistrées pour que je les aie ensuite dans l’oreillette. Mylène est quelqu’un de très attentionné, de très généreux. Elle était toujours désireuse que je me sente bien, j’étais époustouflée par sa grandeur d’âme. »

Vous avez commencé vos études en étudiant les beaux-arts à l’académie de Namur. Vos rôles sont souvent proches de l’art pictural, je pense à celui de la peintre Marthe Bonnard dans Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost, ou, dernièrement, à l’historienne de l’art dans La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch. Quelle place tient l’art dans votre vie ?

Cécile de France: « J’ai été incroyablement heureuse de jouer Marthe Bonnard, non seulement parce que l’art de Marthe était exceptionnel, mais aussi parce qu’il était naïf, poétique et simple. J’ai donc pu, grâce au personnage et grâce à un professeur, m’exercer moi-même au pastel et retrouver ce plaisir que j’avais, enfant, à l’académie des beaux-arts de Namur. Par la suite, j’ai lâché la peinture, je me suis concentrée sur le théâtre. La peinture n’est plus mon canal d’expression, mais je saisis toutes les opportunités de jouer des personnages artistes. Lorsque j’ai joué Calixte, la spécialiste en histoire de l’art pour le film de Klapisch, j’avais envie que ça soit sincère, je me suis plongée à fond dans l’impressionnisme. »

Comment partez-vous à la découverte d’un scénario ? Avez-vous des attentes ou êtes-vous comme une page blanche ?

Cécile de France: « Je lis un scénario comme je découvre un livre. Il y a d’abord le plaisir de la découverte, puis vient la réflexion. On tombe amoureux d’un scénario comme d’un bon livre ou d’un bon roman que vous auriez ensuite envie de prêter aux gens que vous aimez. Après, je me pose des questions. Est-ce que je vais être heureuse avec ce rôle ? Est-ce que le ou la cinéaste m’impressionne ? Mais l’impulsion de choisir un rôle au départ doit être très simple chez moi. »

Quel est le dernier livre que vous avez aimé ?

Cécile de France: « Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes (un classique de la de science-fiction publié en 1966, NDLR), qui m’a bouleversée. Ça vous donnerait envie de proposer des romans pour des adaptations en film ?Je ne me sens pas du tout réalisatrice. Produire, c’est tout un cheminement aussi. Peut-être un jour. Mais je me sens comblée par tout ce que je fais en France et en Belgique en tant qu’actrice. On a tourné Dalloway avec une équipe belge, c’était un tournage exceptionnel. L’équipe était hyper investie, avec des gens enthousiastes et drôles. Ça m’a donné envie de tourner encore plus en Belgique, ça me fait très plaisir d’être là, ce sont mes racines. Je viens d’ailleurs de tourner Louise, de Nicolas Keitel, en Belgique, avec Diane Rouxel et Salomé Dewaels, une belle histoire dramatique comme on les aime. »

Vous auriez envie de repartir tourner aux États-Unis ?

Cécile de France: « Je suis complètement fan d’une série comme Euphoria (de Sam Levinson, avec Zendaya, sur HBO, NDLR), mais j’ai tellement de chance ici, et un statut qui me permet de tourner énormément, ce qui ne serait pas le cas là-bas. En tant que comédien, on voyage surtout dans nos rôles, c’est pour ça que je fais ce métier, pour les voyages que ça nous permet. »

* Dalloway, de Yann Gozlan, en salles le 17/9.Dans Dalloway, Cécile de France interprète une écrivaine aidée par une assistante virtuelle. Mais l’IA semble vouloir faire plus et s’immiscer dans sa vie.

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