Témoignage: « J’ai testé une journée dans la peau d’une bénévole »

Et si nos bonnes résolutions n’avaient rien à voir avec nous-même, mais tout à voir avec les autres ? Notre journaliste s’est glissée dans la peau d’une bénévole. En retour, elle a reçu une bonne dose d’endorphines. Par Evelyne Rutten & Laura Swysen. Photos: Liesbet Peremans.

CUISINER AVEC DES PERSONNES ATTEINTES DE HANDICAP MENTAL

Je me sens très nerveuse. J’ai grandi avec un frère qui souffre d’un handicap physique, mais je n’ai jamais vraiment côtoyé de personnes atteintes de handicap mental. Comment vais-je communiquer avec elles ? Ce jour-là, on me promet que je pourrai mettre la main à la pâte, ce qui me rassure un peu. Le chef Christian est déjà en train de remuer la sauce pour les pâtes quand j’entre dans la salle. Il me fait visiter les lieux et me décrit le quotidien des résidents. Ils restent dans leur chambre jusqu’à 10 h puis se rendent dans la salle commune, où ils sont divisés en groupes. Certains vont se promener, d’autres participent à un atelier ou font du bénévolat. À 16 h, ils rentrent. Cette routine permet de structurer leur journée. J’enfile mon tablier et regarde l’horloge. Il est 10 h. Moins d’une minute plus tard, Talitha entre dans la pièce. Une jeune femme âgée de 28 ans avec un magnifique sourire. Christian la taquine constamment. Le courant passe immédiatement entre nous. Christian souhaite que l’on prépare un gâteau. Une autre résidente, très curieuse, s’approche et nous demande quel sera le dessert du jour. « Pudding ? Est-ce que ce sera du pudding ? » Christian rit. « Si vous le pouviez, vous mangeriez du pudding tous les jours ! Aujourd’hui nous préparons un gâteau, nous avons même une invitée pour nous aider. » Elle me regarde de la tête aux pieds puis s’en va. « Pudding ? »

« Pourquoi es-tu venu vivre ici ? » Silence. « Ma mère est morte un mardi. » Je comprends qu’on parle du mardi précédent.

Je jette un œil aux ingrédients du garde-manger. Je repère la farine, le beurre, les œufs, le chocolat et une boîte de cerises. Je décide d’improviser une sorte de forêt noire. Je laisse Talitha peser les ingrédients et battre les œufs. Soudain, elle s’approche de moi : « Je te trouve très gentille. » « Moi aussi. » Nous nous faisons un câlin. Je profite de la cuisson du gâteau pour papoter. Je lui demande si je peux voir sa chambre. Elle m’emmène à l’unité d’hébergement 34, où elle vit avec sept autres résidents. Chacun possède sa propre chambre et sa salle de bain, le salon et la cuisine sont partagés. Les murs de sa chambre sont peints en rose et recouverts de photos de la Reine des neiges. La pièce ressemble à une chambre d’ado classique : c’est le chaos absolu. « Depuis quand vis-tu ici ? » « Cinq ans. Ma maman ne pouvait plus s’occuper de moi. Au début, je n’aimais pas ça, mais maintenant, j’adore. » Nous retournons à la cuisine. Le gâteau est prêt. Nous sommes arrivées juste à temps, les autres résidents sont déjà attablés. Ils reçoivent une soupe ou une entrée, un plat principal et un dessert.

Témoignage: "J'ai testé une journée dans la peau d'une bénévole"

La plupart d’entre eux sont capables de manger tout seuls, mais certains résidents ont besoin d’un peu d’aide. Je profite de ce moment pour faire connaissance. Shannah a des cheveux qui descendent jusqu’aux hanches et de beaux yeux clairs. Elle s’assied à ma table et demande ce que je fais ici. « J’aide le chef. » Elle pointe du doigt le photographe qui m’accompagne. « Est-ce que vous vivez ensemble ? » « Non, nous sommes juste des collègues. » Je lui demande quel âge elle a. Elle soupire. « Un chiffre avec un deux et un cinq. » Un des superviseurs me dit qu’elle a probablement manqué d’oxygène à la naissance. J’avale mon plat en silence, plongée dans mes pensées. Ces quelques secondes ont eu un impact considérable sur toute son existence. Shannah est super sociable. Elle s’installe à côté de François, un homme de 52 ans qui s’est isolé à une table et boit sa soupe d’un air maussade. « François ! Pourquoi tu es tout seul ? Viens t’asseoir avec nous ! » Elle prend son assiette et pose ses couverts sur notre table. François la suit. « Vous êtes ici depuis longtemps ? » « Je suis venu un mercredi. » Talitha précise qu’il n’est ici que depuis une semaine. « Pourquoi es-tu venu vivre ici ? » Silence. « Ma mère est morte un mardi. » Je comprends qu’on parle du mardi précédent. « Tu es triste ? » « Oui, parfois. »

Rire ensemble et s’extasier lorsque quelqu’un retourne les bonnes cartes. J’adore ce moment. La prochaine fois, je viendrai avec ma fille.

Les pâtes sont servies. Oubliez les longs spaghettis à l’italienne, ici les pâtes sont très courtes, comme celles que l’on réserve habituellement aux enfants car elles sont faciles à avaler. Un rouleau d’essuie-tout trône sur la table, prêt à absorber les éventuelles taches de sauce. C’est l’heure du dessert ! Talitha et moi coupons des parts de gâteau et les servons dans des bols en verre. « C’est moi qui l’ai fait avec elle ! », hurle Talitha, fière comme un paon. « Tu as presque tout fait toi-même ! » Elle rougit et rit à gorge déployée. Après le repas, il faut attendre une heure avant que les activités reprennent. Quelques résidents s’installent au fond de la salle. Leur regard est perdu dans le vide, personne ne dit rien. Je jette un coup d’œil aux alentours et découvre une pile de jeux de société. « Qui veut jouer avec moi ? » Quelques mains se lèvent. J’ai choisi un memory, un jeu que ma fille de 9 ans apprécie particulièrement. Après trois minutes, je dois mettre en veilleuse mon sens aigu de la compétition et accepter, entre autres, qu’Yves, un jeune homme atteint de trisomie 21, retourne inlassablement les deux mêmes cartes. Profiter du moment. Rire ensemble et s’extasier lorsque quelqu’un retourne les bonnes cartes. J’adore ce moment. La prochaine fois, je viendrai avec ma fille.

  • Le Centre de Hemptinne est un Service résidentiel pour personnes adultes (SRA) présentant une déficience mentale sévère/ profonde. Il cherche des volontaires pour l’aide au quotidien.
  • L’association Les Pilotis propose une alternative aux formes habituelles d’hébergement pour adultes dépendants. Elle cherche des volontaires prêts à faire des activités avec eux (cinéma, balades, jeux de société).

GAEL décembre

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