NEW YORK, NEW YORK - SEPTEMBER 12: Fashion guestis seen wearing a rings mix, including a large solitaire diamond, a band with multiple smaller diamonds, and a rectangular ring. The nails are painted with a subtle polka dot design. The black Prada handbag is made of a nylon material and features a silver chain strap. A small, Labubu Prada bag charm is attached to the bag. The charm has a gray fur body, a smiling face, and is wearing a black Prada bucket hat, black overalls, and a silver necklace. The Prada logo is visible on the hat and overalls. The bag itself also has the Prada logo on its front on Advisry Show September 12, 2025 in New York City. (Photo by Jeremy Moeller/Getty Images)

Jellycat, Labubu: pourquoi les jeunes adultes sont-ils fous de jouets?

En 2025, les jouets pour adultes ne sont plus du tout un jeu d’enfant. C’est même un marché qui pèse plusieurs milliards. Par Catherine Kosters, avec la collaboration de Kathleen Wuyard.

Dans la capitale thaïlandaise, les gens font la queue devant un magasin de jouets de CentralWorld, l’un des plus grands centres commerciaux au monde. Le public rassemblé ce jour-là à Bangkok n’est pas composé d’enfants bruyants, mais de jeunes branchés dans la vingtaine ou la trentaine. Ils entrent un par un dans le magasin et en ressortent quelques minutes plus tard, visiblement comblés, les bras chargés de boîtes qu’ils photographient avec enthousiasme. Des photos immédiatement mises en ligne, où les boîtes récemment achetées sont revendues pour un montant plusieurs fois supérieur à leur prix d’origine. Interrogé sur le sens de ce cirque capitaliste, l’un des acheteurs répond par trois syllabes qui résument tout : « Labubu ».

La folie des Labubu

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Impossible d’y échapper ces derniers mois : Kim Kardashian en achète pour ses enfants, Marc Jacobs pour lui-même. Un bijoutier de Los Angeles en propose un exemplaire en diamant pour la bagatelle de 272 000 €. On a aperçu un Labubu sur le tapis rouge des Emmy Awards et sur la dernière demeure de Karl Marx, qui doit se retourner dans sa tombe. Le père spirituel de ces elfes omniprésents aux oreilles de lapin et au sourire démoniaque est Kasing Lung, un illustrateur né à Hong Kong qui a grandi aux Pays-Bas et réside maintenant en Belgique. En 2015, il a dessiné un nouveau personnage pour sa série The Monsters qui allait dépasser tous les autres en termes de popularité. Ce drôle de lapin a généré à lui seul un chiffre d’affaires de 569 millions d’€ au cours du premier semestre 2025, près du double de celui de Barbie. Pop Mart, la société chinoise qui a commercialisé la franchise auprès du grand public, vaut actuellement environ 40 milliards.

Nature joueuse

C’est que le phénomène Labubu n’est pas sorti de nulle part. Cet engouement s’inscrit en effet dans une tendance sociétale plus large, qui voit de plus en plus d’adultes se tourner vers des divertissements considérés jusqu’ici comme enfantins. Selon le magazine Business Insider, les adultes constituent actuellement le groupe de consommateurs de jouets qui connaît la plus forte croissance. Ils achètent non seulement des breloques Labubu à accrocher à leur sac, mais aussi des figurines Sonny Angel pour décorer leur bureau et des peluches Jellycat à disposer un peu partout dans la maison.

« Une enquête menée auprès de plus de 4 000 personnes en 2023 montre que 60 % des adultes aiment jouer avec des jouets », explique Vanessa De Geest, conservatrice du Musée du jouet de Malines (troisième plus grande collection d’Europe).

Parmi les 35 000 objets exposés, on trouve de nombreux jouets pour adultes, allant des jeux de société à un bouquet en Lego. « Jouer est un comportement naturel. Nous le faisons pour acquérir des compétences. Un enfant doit non seulement apprendre à marcher et à parler, mais aussi se développer sur le plan socio-émotionnel. Dans un jeu de rôle, on apprend à être créatif. Avec un jeu de société, on apprend à respecter les règles. En jouant, les enfants apprennent également à faire des choix moraux. Cela ne s’arrête pas après l’enfance. Nous continuons à évoluer et des études montrent que les adultes ayant conservé leur esprit ludique ont souvent plus de succès », explique-t-elle. L’historien de la culture Johan Huizinga a introduit le terme homo ludens (« l’homme jouant ») en 1938.

Selon lui, toute forme de culture est imprégnée de ludisme. Lorsque nous désapprenons à jouer, nous perdons notre culture, et cela ne vaut pas seulement pour les humains. Des recherches menées par l’Université d’Utrecht montrent que même les rats jouent (si, si) au chat et à la souris pour développer certaines compétences sociales et communicatives.

Une approche ludique

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« Les adultes ont toujours joué, rappelle Vanessa De Geest. Les écrits antiques nous apprennent que les jeux de dés et de société étaient des passe-temps populaires dans les thermes. Les enfants, quant à eux, jouaient plutôt avec des cerceaux dans la rue. Dans l’Antiquité, le monde du jeu des enfants et celui des adultes étaient séparés et il en est longtemps resté ainsi. Au Moyen Âge, certains jeux, comme les dés, ont été interdits par l’Église et l’État car ils menaient à l’ivrognerie et aux paris. À partir de ce moment-là, on a surtout joué à l’intérieur. Au cours de l’histoire, on a vu apparaître ci et là quelques engouements de la part d’adultes pour des jouets. Le diabolo, par exemple, était extrêmement populaire au 19e siècle, comme aujourd’hui les Lego ou certains jeux vidéo. »

Mais le grand bouleversement dans le comportement collectif en matière de jeu n’est toutefois survenu qu’après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi que l’explique notre conservatrice, « dès lors que le niveau de vie augmente et que les heures de travail diminuent, les univers ludiques des jeunes et des moins jeunes se rapprochent. Les gens bénéficient de congés payés et de plus de temps libre. La notion de famille occupe aussi une place de plus en plus importante, cela se voit sur les boîtes de jeux de société, sur lesquelles tous ses membres sont représentés. Là, la différence entre les jouets pour enfants et ceux pour adultes s’estompe considérablement. Cela ressort de notre enquête : parents comme enfants jouent à Fifa, par exemple. » Depuis la numérisation et l’introduction des consoles de salon dans les années 80, les jeux vidéo sont devenus l’une des catégories de jouets les plus populaires auprès des adultes, et il faudra attendre un autre bouleversement pour qu’ils soient concurrencés par un secteur inattendu.

L’essor des kidults

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Il suffit d’entrer dans n’importe quel magasin de jouets un jour de semaine ordinaire pour les repérer. On les appelle les « kidults », soit des adultes qui ont des loisirs autrefois réservés aux enfants : livres de coloriage, objets de collection, kits de bricolage... La directrice d’un magasin de jouets nous explique que l’émergence des jouets pour adultes n’est que l’une des nombreuses tendances qu’elle observe, outre les jouets durables, sensoriels et ouverts, c’est-à-dire sans règles ni objectif.

« La collection de Noël de Jellycat était déjà presque épuisée à la fin du mois de septembre. Nous ne vendons plus les Sonny Angel qu’en magasin, avec un maximum de deux par client, car nous voulons lutter contre la revente en ligne. Dès que nous publions un message indiquant que de nouveaux Sonny Angel sont en stock, les fans affluent », note encore notre interlocutrice.

Le catalyseur de ce changement d’âge ? Le confinement. « Les adultes ont alors réalisé qu’il y avait autre chose dans la vie que le travail et la télévision. Les jeux, les puzzles et le matériel de bricolage se sont vendus comme des petits pains. Sonny Angel et Jellycat ont également connu un essor fulgurant à cette époque grâce aux réseaux sociaux », poursuit-elle. Les marques en question vendent respectivement des petits anges sans pantalon affublés de couvre-chefs farfelus et des peluches anthropomorphiques en forme d’animaux, de plantes, d’aliments et plus encore. Un rouleau de papier toilette ou une raclette avec un petit visage, ça vous parle ? Cinq ans après le premier confinement, cet emballement ne s’est toujours pas calmé.

La chasse aux Jellycat

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Lise, 28 ans, est l’une de ces fans et elle n’hésite pas à afficher sa passion sur TikTok. « J’ai eu une phase Sonny Angel, mais maintenant, je suis à fond sur Jellycat. Il y a trois ans, j’ai reçu une peluche en forme de baleine pour Noël et c’est ainsi que ma collection a commencé. Depuis, j’ai acheté une citrouille pour Halloween, un croissant et un gobelet à emporter pour la cuisine, une théière comme mascotte pour mon club de lecture... J’utilise principalement mes Jellycat à des fins décoratives et j’aime le fait qu’il existe toutes sortes de thèmes et d’expériences dans la gamme. » La marque a ainsi ouvert une pâtisserie de gourmandises en peluche aux Galeries Lafayette à Paris et, à Londres, un corner de fish and chips similaire chez Selfridges.

« J’ai du mal à accepter l’idée d’acheter des peluches pour les revendre à des prix exorbitants. Cela enlève toute la magie »

Pour Lise, le plaisir réside dans l’acte même de collectionner : « La plupart des adultes, comme moi, les considèrent comme des objets de collection. Comme il existe tellement de Jellycat différents et qu’ils sont souvent en édition limitée, cela devient addictif ! Sur TikTok, les gens se livrent à la chasse aux Jellycat, à la recherche d’exemplaires exclusifs. Cela donne lieu à des contenus amusants, mais pour moi, cela va un peu trop loin. J’ai du mal à accepter l’idée d’acheter des peluches pour les revendre à des prix exorbitants. Cela enlève toute la magie. » Malgré cette folie autour de l’e-commercialisation, notre collectionneuse voit surtout les aspects positifs de cette tendance câline : « Cela rassemble les gens. L’année dernière, mes amies et moi avons organisé une fête de Noël où nous nous sommes toutes offert un Jellycat. Et quand je me sens écrasée par la vie, mon porte-clés Jellycat m’apporte un vrai soutien émotionnel. »

Poupées mannequins

Objet de mode, déco, soutien... En 2025, les jouets sont tout cela à la fois. Mais le plus frappant reste peut-être le croisement de cet univers avec le monde de la mode. C’est d’ailleurs ainsi que les Labubu ont percé auprès du grand public, lorsqu’ils ont été aperçus sur les sacs de marque de certaines célébrités. Et ce n’est pas un hasard si les premières adeptes de cette tendance ont été des stars de la K-pop telles que les membres de Blackpink. Dans les pays asiatiques, les breloques pour sac à main — des Monchhichi aux figurines de manga — sont à la mode depuis des années. Elles font partie de la culture locale de la mignonnerie (kawaii signifie « mignon » en japonais).

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Pour Vanessa De Geest, il existe une nuance importante entre jouer et collectionner. Et de prendre en exemples « les adultes qui collectionnent les objets My Little Pony ou Playmobil en les conservant dans leur boîte d’origine ». Dans la mode, il y a bel et bien un élément ludique. « Les personnes qui achètent des Jellycat ne sont pas des collectionneurs comme ceux que l’on voit avec les ours en peluche exclusifs de Steiff, par exemple. Ils achètent des Jellycat parce qu’ils les aiment, pas pour leur valeur marchande, et ils “jouent” avec en les plaçant dans leur maison ou en les prenant dans leurs bras », précise notre marchande de jouets. Le Labubu est lui aussi une source de plaisir ludique. « Sur des sites web tels qu’Etsy et AliExpress, de véritables mini-industries ont vu le jour, où des créateurs vendent des petites tenues, des sièges auto et même des petits sacs à main spécialement conçus pour les poupées », rapporte le New York Times.

Retour au pays imaginaire

« Il y a un Birkin accroché à mon Labubu », a récemment plaisanté Marc Jacobs sur Instagram. Sur le sac à main du créateur ou celui d’autres fans célèbres, de Madonna à Rihanna, le jouet est devenu un symbole de statut social. Et son exclusivité le rend d’autant plus désirable. « C’est un phénomène de prospérité amplifié par les réseaux sociaux », explique la conservatrice du musée. Et selon la propriétaire du magasin de jouets, la nostalgie joue aussi un rôle : « Monchhichi, Snoopy et d’autres personnages de bande dessinée du siècle dernier font leur grand retour. Sonny Angel existe également depuis vingt ans, ce qui fait vibrer la fibre nostalgique des jeunes adultes qui viennent dans notre magasin. »

Le marketing nostalgique est une stratégie éprouvée et un puissant moteur de vente. Devons-nous en conclure que les jouets pour adultes ne sont rien d’autre qu’une forme de consumérisme poussé à l’extrême, le capitalisme dans sa forme la plus câline ? Non, affirme la vendeuse : « L’être humain est fait pour être créatif. Je pense que nous avons un peu perdu cette capacité à cause de la télévision en continu et des réseaux sociaux. En jouant et en utilisant nos mains, nous pouvons retrouver cette partie de nous-mêmes. »

Que vous construisiez des bouquets en Lego, que vous habilliez votre Labubu d’une nouvelle tenue Louis Vuitton ou que vous organisiez un goûter avec vos Jellycat, les jouets font ressortir l’enfant qui sommeille en vous.

Ils vous transportent dans un pays imaginaire, un lieu magique d’évasion et d’éternelle jeunesse. De plus, les jouets apportent du réconfort dans les moments difficiles. Tel l’« effet rouge à lèvres » (on a remarqué que pendant une crise économique, les consommateurs dépensent plus d’argent pour de petits articles de luxe tels que le rouge à lèvres) version Labubu. Vanessa De Geest rappelle que « dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale, le jeu de cartes était un passe-temps populaire parmi les soldats ». « Les jouets offrent-ils également une échappatoire à notre époque actuelle ? C’est une jolie hypothèse », conclut-elle.

  • Musée du jouet, Koning Albertplein 2B, 2800 Malines. speelgoedmuseum.be/fr.

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