Yannick Noah: « J’ai tout mis de côté pour tout concentrer sur mes matchs »

Si notre Guest de janvier s’illustre désormais dans l’univers de la musique, il s’est avant tout fait connaître pour son jeu hors pair et ses talents inégalables sur le court. Pour GAEL, il revient sur ces années où il a dû cadenasser ses émotions pour se hisser au sommet du tennis mondial. Par Isabelle Blandiaux. Photos: Laetizia Bazzoni.

Le petit garçon souriant de 5 ans, sur la pochette de ton dernier album, comment était-il ? Restes-tu connecté à lui ?

Oui. Avant c’était à travers mes enfants, aujourd’hui c’est plutôt à travers mes petits-enfants. J’étais joyeux, malicieux : je faisais des petites bêtises, jamais graves, et je ne me faisais jamais avoir. J’étais toujours le préféré des profs. J’aimais beaucoup l’école au Cameroun, jusqu’à ce que j’aille en sport-études en France à 12 ans. Je suis passé du petit gamin qui s’amusait au petit gamin qui avait déjà un projet de vie. Mes motivations ont complètement changé : du jour au lendemain, c’était comme si jouer au tennis était devenu ma raison d’exister. Et puis, je pensais que j’allais capturer le regard d’une jeune fille au club si je jouais bien (large sourire).

« Mon père, qui a été sportif, sentait que j’avais vraiment un goût et un talent pour le jeu... »

Avoir une raison de vivre si forte et précise dès 12 ans, c’est très rare...

Oui, quand je suis arrivé en France, mes parents étaient à 6 000 km, on ne se voyait plus, à part quinze jours à Noël. Rétrospectivement, c’est bizarre parce que je considère mon fils comme un bébé ; or, il a 15 ans. J’ai demandé à ma mère comment elle avait fait pour me laisser partir. Elle me répond que j’étais passionné. Qu’elle espérait tout à la fois que cela se passe bien pour moi et que cela se passe mal pour que je rentre au Cameroun. Elle a pleuré tous les soirs pendant des années. On s’envoyait des lettres où je lui racontais mes bizutages. À 12 ans, j’étais un des meilleurs joueurs du monde de cet âge-là. Je pense qu’on s’est d’abord dit : « On essaye pour voir, au moins on n’aura pas de regrets. » On ne se rendait pas compte que je partais pour douze années. Mon père, qui a été sportif (professionnel de foot, il a gagné la coupe de France en 1961, NDLR), sentait que j’avais vraiment un goût et un talent pour le jeu.

Tu n’as donc pas vécu une adolescence habituelle. Tu t’es rattrapé après ?

À 14 ans, j’étais déjà un petit bonhomme indépendant. J’ai tout mis de côté, y compris l’affection, pour tout concentrer sur mes matchs. J’avais un meilleur pote de pension, mon frérot Pierre. Il m’a appelé la semaine dernière. On est toujours restés en contact ; il est kiné en France. C’était le jeu, le jeu, le jeu. Après, j’ai passé mon temps à compenser de manière inconsciente. Quand j’ai voulu commencer à travailler sur moi, à 24 ans, je me suis aperçu que tous ces manques avaient été ma force. Parce que je m’entraînais très dur tout seul. L’entraîneur m’attendait à 9 h du matin et moi, j’étais déjà au travail dès 7 h 30. Ma motivation était d’attirer l’attention des filles et de battre un jour les plus âgés de l’internat qui me bizutaient. Donc, ces problèmes ont été une opportunité. Je me suis (re)construit après, j’ai appris l’amour, la tendresse. C’est un chemin particulier, qui est intéressant à condition de retomber sur ses pieds.

« Si je n’avais pas eu cet échange avec le public, j’aurais arrêté le tennis très tôt. »

En quoi est-ce que le champion de tennis Arthur Ashe t’a autant inspiré quand tu étais jeune ?

J’avais d’abord l’impression qu’il était comme mon tonton, il avait la même tête que moi. Il n’y avait aucun joueur de couleur à l’époque. Il était beau, élégant. J’accrochais des pos- ters de lui dans ma chambre. Quand le hasard a voulu que je le rencontre, il a été très surpris de voir un petit Africain de 11 ans qui jouait au tennis à Yaoundé. Il a dû avoir une affection particulière pour moi. On a tapé des balles. Un moment précieux qui a changé mon regard sur les autres. Il m’a tendu la main, m’a dédicacé un poster, m’a donné une raquette, un rêve. C’est lui qui a fait en sorte que je puisse partir en sport-études après.

À ton tour, tu es devenu celui qui inspire plein d’enfants...

Je sais que j’ai ce pouvoir magnifique d’aider les autres, de leur faire plaisir même si je ne les connais pas. Aujourd’hui, je suis devenu l’« Arthur Ashe » qui tend la main à des petits gamins. Cela me bouleverse. Je fais ce que je fais uniquement pour avoir cet échange avec les gens, un sentiment d’appartenance. Parfois, on me disait que j’étais trop sensible sur le court, et j’ai dû travailler ça. Mais si je n’avais pas eu cet échange avec le public, j’aurais arrêté le tennis très tôt. Faire de la musique m’amène exactement dans la même direction. Quand on me demande une photo, ce n’est pas que ça ne me dérange pas, c’est que ça me fait plaisir.

Découvrez notre rencontre avec Yannick Noah en intégralité dans le GAEL de janvier, disponible en librairie.

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