Iliona by Luc Praet

Iliona: “J’ai l’impression que mon public me ressemble ”

Elle est l’anti-Angèle et l’anti-Helena : pas de propulsion au firmament en quelques hits, Iliona trace sa voie pas à pas. Avec une exigence, un talent et une quête de vérité qui forcent le respect. Rencontre avec la queen bruxelloise de la bedroom-pop mélancolique fascine la France comme la Belgique. Par Isabelle Blandiaux. Photo: Luc Praet.

À 25 ans, Iliona a publié deux EP, un album post-rupture cette année, What if I break up with u?, s’est bagarrée pour récupérer les droits sur sa musique, a quitté son premier label, puis créé le sien, elle continue à écrire, à composer, à produire ses chansons seules dans sa chambre, à réaliser ses clips et à concevoir ses visuels. Intensément mélancolique, addictive et intime, sa bedroom-pop à la rare puissance évocatrice rayonne d’émotions, de la Belgique à la France, où elle part en tournée cet automne (deux Ancienne Belgique et deux Olympia sold-out). Sans fausse modestie, Iliona s’étonne encore que le public aime ses chansons tissées avec ses fêlures, tente d’apprivoiser ses doutes, sa timidité comme son hypersensibilité, tout en faisant preuve d’un impératif besoin de s’affirmer.

Ton écriture est très intime : quel est le processus ? Tu écris pour toi-même en te disant que personne d’autre ne va entendre tes textes ?

Iliona : « Oui, exactement. J’ai toujours été un oiseau de nuit qui s’endormait tard. Et je n’ai jamais eu besoin de beaucoup dormir. Je suis créative la nuit parce que la vie me paraît être en pause à ce moment-là. J’ai écrit mon premier album dans ma bulle, en pleine rupture amoureuse et professionnelle. En me disant que ça n’allait pas exister, que ce n’était que pour moi. Cela permettait une vulnérabilité à laquelle, sinon, j’ai du mal à accéder. Comme d’habitude, quand ça ne va pas dans ma vie, je m’invente un monde et cela crée un refuge interne où je peux me réparer. C’est un mécanisme de défense naturel. »

Après avoir écrit ce journal intime post-rupture, tu t’es fait violence pour le publier ?

Iliona : « Il y a une part en moi qui est très pudique et qui a du mal à sortir certaines phrases, mais en même temps, je pense que cela m’aide. Dans mes chansons, je raconte des trucs que je ne dis pas dans ma vraie vie. Cela devient un produit, un objet esthétique concret et utile. Je peux alors m’en débarrasser et passer à autre chose dans mon cœur et dans ma tête. Et puis comme je travaille toute seule, je peux sublimer ce que je dis d’horrible ou une émotion qui était très douloureuse. Je reprends le contrôle sur mes émotions, au lieu de les subir comme dans ma vraie vie. Je peux leur imposer une forme et une couleur, c’est soulageant. »

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Mais tes textes, tu souhaites les garder intacts, sans retouches sur l’album. Pour conserver la magie de l’instant où ils sont nés ?

Iliona : « J’ai l’impression que certaines impulsions doivent être conservées, comme des tournures instinctives de phrases. Comme quand on fait des images. Parfois, même si c’est maladroit, tu ne peux pas expliquer pourquoi, mais tout y est. Je trouve plus intéressant de garder quelque chose de pas très bien dit mais qui est sorti tout droit du cœur et qui donne donc beaucoup plus de sous-textes qu’une phrase parfaite. »

Tu as arrêté ton contrat avec ton label. Il t’a fallu du temps pour remettre en place un environnement professionnel sain ?

Iliona : « Oui, je m’étais fait avoir et cela arrive à plein d’artistes. Cela a été très compliqué et a pris beaucoup de temps pour quitter mon ancien label, cela m’a mise dans une situation très incertaine. Là, je suis apaisée parce que j’ai pu créer ma structure, qui s’appelle Jevousamour, et faire ma vie, mais j’étais révoltée, tellement en colère quand j’étais dedans. Le milieu de la musique est très compliqué, beaucoup d’artistes normalisent le fait d’être dépossédés de leurs droits sur leurs œuvres. C’est fou ce que la société capitaliste nous fait accepter. Aujourd’hui, je suis libre et je me sens en sécurité, entourée de ma propre équipe, quasi exclusivement féminine. Ça change tout, c’est tellement rare et c’est hyper important à mes yeux. »

On sent chez toi le souci permanent de rester 100 % toi-même, sans dévier, en toute authenticité. Cette affirmation de soi, elle vient aussi de cette mésaventure ?

Iliona : « Oui, totalement. J’étais tellement en colère que je me disais que la seule chose qu’il me restait, c’était de créer ce que j’avais envie de créer. C’est mon premier album et je voulais surtout ne rien regretter, donc ne pas faire de compromis. Parce que si ça marche et que tu n’aimes pas ton album, c’est horrible comme sentiment. Et si ça ne marche pas et que tu n’aimes pas ton album, c’est encore pire. Dans les deux cas, c’est douloureux.

Comme je suis très sensible, je peux souvent me sentir surstimulée ou envahie par le monde extérieur, mais dans mon monde imaginaire, je peux tout contrôler et être safe.

C’est pour ça que ça m’importe autant d’avoir la mainmise sur chaque aspect de mon travail. J’ai aussi un besoin de vérité, qui est plus un trait de personnalité, je pense. Je suis très attachée à la transparence, la sincérité. Pour raconter des choses pertinentes, c’est important pour moi qu’elles soient réelles. C’est une quête de sens. Dans la vie, je ne mens pas, jamais. J’en serais incapable. J’ai l’impression que cela se voit quand ce n’est pas vrai. Dans l’art, cela se sent quand on veut provoquer une émotion mais que c’est faux. Quand le but est de tirer des larmes, cela m’écœure. À quoi bon ? »

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Le perfectionnisme est un autre trait de ta personnalité ?

Iliona : « Je prête énormément d’attention aux détails, mais je ne suis pas perfectionniste pour tout. Par exemple, je ne cuisine pas bien et ce n’est pas rangé chez moi, mais cela m’est égal. Quand il s’agit de créer, oui, je vais être perfectionniste. Mais j’apprends à me détendre avec l’expérience. »

La mélancolie, le spleen intérieur sont omniprésents dans ton travail. Ton premier EP s’appelait Tristesse (2021)… Cela fait partie de toi ?

Iliona : « Tu connais les films Vice-Versa, avec toutes les émotions représentées par des personnages ? Le deuxième est vraiment très bien, avec l’arrivée de l’anxiété et le fait que l’héroïne rentre dans la période de l’adolescence. J’ai tellement pleuré devant ces films : je me sentais enfin moins seule ! J’ai l’impression de toujours avoir été submergée par mes émotions, de ne pas avoir su comment les gérer et d’avoir voulu les cacher parce que j’avais l’impression d’être la seule à vivre ça.

Ces films normalisent l’hypersensibilité et j’aurais trop aimé les voir quand j’étais enfant. Parce que j’ai appris à cacher mes émotions en public, alors qu’elles prennent beaucoup de place en moi.

Donc j’ai toujours expulsé ces émotions dans le dessin ou la musique. Ce qui me fait créer, ce sont souvent les émotions négatives, parce que les émotions positives, je peux les partager, même si elles sont aussi extrêmes : quand je suis gaie, je suis euphorique et je saute partout. De l’extérieur, on ne voit donc que les émotions négatives dans ma musique, mais il n’y pas que ça en moi, heureusement ! »

Tu as toujours été timide ? Cela te coûte dans ton métier ?

Iliona : « La timidité est venue avec l’âge. Ma famille me dit que toute petite, en maternelle et en début de primaire, j’avais un caractère fort, un avis hyper tranché et que je me comportais comme une adulte. Ce qui est bizarre… Aujourd’hui, ma timidité me coûte dans plein de moments et en même temps, je l’accepte. Monter sur scène n’est pas facile quand on est introverti. Je me dis que je suis au service de mes chansons, que je les défends. Comme ça, je n’ai pas l’impression de parler de moi. Grâce à cette distance, je ne suis pas tout le temps au premier plan. J’apprends aussi à faire la paix avec moi-même, à relativiser et à me dire que ce n’est pas grave. »

Ta notoriété, tu la vis comment ?

Iliona : « Je ne réalise pas du tout. Quand, dans la rue, les gens s’approchent pour me demander une photo, je crois qu’ils vont me demander l’heure ou du feu. Je suis étonnée quand on vient me dire qu’on aime ma musique. Mais je suis hyper reconnaissante parce que j’ai l’impression que mon public me ressemble vachement. Ce sont pour beaucoup des introvertis, des anxieux, des timides et c’est touchant. On se rassure tous entre nous. Internet, pour ça, c’est magique. On se connecte les uns aux autres via les réseaux sociaux, c’est génial ! »

Et cette anxiété, comment parviens-tu à la gérer ?

Iliona : « J’ai été très anxieuse pendant plusieurs années, à un point où c’était handicapant. Maintenant, je vois une psy et je travaille dessus. Cela m’aide énormément. Les seuls remerciements dans mon album sont adressés à mon avocat, qui m’a aidée à sortir de l’impasse avec mon label, à ma psy et à mon chat. J’avais prévenu mes proches, pour qu’ils ne le prennent pas mal, et ils ont tous approuvé, en fait. Ma psy, je la remercie tout le temps, parce que le travail qu’on fait ensemble est incroyable. C’est vraiment important de consulter, je le dis à tout le monde : cela change la vie ! »

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