Dépression, racisme & famille: Yannick Noah se dévoile, côté privé

Si notre Guest de janvier s’illustre désormais dans l’univers de la musique, il s’est avant tout fait connaître pour son jeu hors pair et ses talents inégalables sur le court. Pour GAEL, il revient sur ces années où il a dû cadenasser ses émotions pour se hisser au sommet du tennis mondial. Par Isabelle Blandiaux. Photos: Laetizia Bazzoni.

Cette victoire à Roland-Garros, le 5 juin 1983, est l’aboutissement de tant d’années de travail... Un rêve, mais aussi un choc ?

Ça a été un choc, parce que c’était le rêve de ma vie jusqu’à ce moment-là. Le jour où c’est arrivé, j’avais 23 ans, mais du coup, je n’avais plus de rêve. Une joie gigantesque partagée avec des millions de personnes. En une fois, je suis passé du statut de « sportif professionnel » à « personnalité ». Or, je n’avais pas d’agent ni de garde du corps. Et mon numéro de téléphone était toujours dans l’annuaire, alors je recevais sans arrêt des appels et des messages. Je n’avais plus d’appui, j’étais complètement déstabilisé. C’était d’autant plus difficile qu’il y avait une affection très forte du public. Il avait été touché en voyant mon père sauter sur le terrain après ma victoire, on avait pleuré de joie dans les bras l’un de l’autre.

Dix jours après, j’ai fait ma première déprime. Dans les manuels, on explique comment essayer de gagner un match, mais quand on a gagné, on fait quoi ? Personne n’en parle. J’étais le plus malheureux alors que tout autour, les gens pensaient que j’étais le plus heureux du monde. Un décalage complet ! Donc je ne pouvais pas en parler, personne n’aurait compris. J’ai agi à l’instinct. Je suis parti m’installer à New York et je me suis reconstruit. Mes priorités ont changé : je me suis marié très vite (avec Cecilia Rodhe, NDLR), j’ai eu des enfants très jeune. Je voulais avoir une famille, tout le reste n’avait plus d’importance. J’ai continué à jouer, je voulais rester dans les meilleurs mais je n’étais plus le même : le tennis n’était plus une question de survie pour moi.

Tu as gardé un lien avec le Cameroun ?

J’y retourne avec joie deux fois par an. De par la tradition locale, je suis le chef du village, je suis donc responsable de ce petit territoire. Je m’occupe des nombreux tontons et tantes, par dizaines, avec des enfants officiels ou officieux. C’est le lieu de ma petite enfance, j’ai toujours gardé le lien. Une partie de moi y est toujours, j’ai besoin de la stimuler. J’y retrouve avec bonheur les odeurs, l’humour, la gastronomie, la langue... La double culture (sa mère était française, son père camerounais, NDLR), cela signifie que tu es partout et nulle part chez toi, selon le moment, la perception, l’environnement. Parfois, tu es accepté, parfois tu ne l’es pas.

Tu as souvent été confronté au racisme ?

J’y ai été confronté, mais il ne m’a jamais trop gêné. Pour l’instant, parce que la société évolue. Même très jeune, je comprenais bien comment réagir et botter en touche, parce que l’éducation de mes parents m’avait préparé à cela. Je rigolais, j’esquivais.

En quoi la musique a-t-elle été si importante dès le départ dans ta vie ?

Elle l’a été du jour où je suis parti de chez moi. C’était comme une compagne de route, voire une thérapie. Je menais une vie au milieu des gens quand je suis arrivé en France, mais c’était une vie de solitude parce que j’étais loin des miens tout le temps. Puis quand je suis allé sur le circuit, j’étais toujours en vadrouille et je n’avais pas trop de copains au début, j’étais le seul joueur de couleur. J’avais besoin de musique parce que j’étais tout seul dans les chambres d’hôtel. Ma famille et mes copains me manquaient. Quand j’écoutais les disques que je piquais à ma maman, il y avait un peu de mélancolie, ils me faisaient l’effet d’un médicament : Serge Reggiani, Georges Moustaki, Brel, Alain Barrière, Adamo, etc. Et quand je chantais sur ces disques, c’était très fort, j’extériorisais mes manques.

C’est resté : quand je chante aujourd’hui, c’est toujours avec mes tripes, mon cœur. J’exprime, à presque 60 ans, des choses que j’ai bloquées pendant des années parce que je n’avais pas le droit d’avoir les larmes aux yeux, de pleurer, d’être sensible, délicat. Seuls les muscles et la force comptaient. J’ai la chance d’avoir trouvé cette manière d’évacuer tout cela. Même si j’ai commencé par interpréter des blagues avec Saga Africa. Mais au fond de moi, j’avais envie de rechanter avec la même émotion qu’avait ma mère quand elle écoutait ses disques au fin fond de l’Afrique, qu’elle fermait les yeux et qu’elle se retrouvait dans les Ardennes. Je voyais bien qu’il se passait quelque chose...

Découvrez notre rencontre avec Yannick Noah en intégralité dans le GAEL de janvier, disponible en librairie.

À lire ensuite:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu des partenaires

Contenu sponsorisé