8 bandes dessinées coups de coeur à offrir à Noël
À la recherche de bandes dessinées originales pour combler une passionnée de lecture? Notre journaliste Nicky Depasse vous dévoile ses derniers coups de coeur.
La bande dessinée au féminin n’a jamais été aussi riche, sensible et puissante. Qu’elles affrontent le diable, la solitude, le passé ou l’Histoire elle-même, les héroïnes de papier font preuve de courage, d’humour et de tendresse, et ça nous fait du bien. Enquête haletante, fable animalière, introspection amoureuse ou travail de mémoire réparateur, voici huit bandes dessinées à lire cet hiver, la saison idéale pour se plonger dans un univers qui nous parle de plus en plus.
Nos bandes dessinées coups de coeur
Meurtres à Barcelone

Pas de suspense : ce deuxième tome des enquêtes involontaires d’Eva Rojas est à la hauteur du premier album, Je suis leur silence. Dix-huit mois plus tard, la belle psychiatre se voit contrainte de partir sur les traces d’un de ses patients mystérieusement disparu. Faisant de fêlures et d’une maladie mentale héritée de sa mère, un atout, Eva se retrouve à évoluer malgré elle dans le milieu trouble d’un puissant club de football plongeant des racines dans les bas-fonds de la métropole catalane. Scénario brillant, univers graphique admirable, la lecture de cette bande dessinée à l’esprit proche de la série Slow Horses est un véritable enchantement. Les héroïnes féminines ont plus que jamais du peps quand elles endossent un rôle qu’on ne donne jamais à une femme, aussi intelligente et dérangée que sexy.
- JE SUIS UN ANGE PERDU, JORDI LAFEBRE, 110P., Ed. DARGAUD.
Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes

Comme le livre original, cette formidable adaptation en Bandes Dessinées devrait se retrouver dans toutes les maisons ou à défaut, dans toutes les bibliothèques, voire au programme des écoles. Car il apparaît de plus en plus que l’Histoire telle qu’on nous l’enseigne n’est qu’une moitié d’histoire. Depuis grottes de Lascaux jusqu’aux luttes féministes modernes, en passant par un Moyen-âge presque égalitaire et une Renaissance qui ne le fût pas tant que ça, cette BD déroule une fresque foisonnante où l’on croise des reines, des savantes, des guerrières, des artistes, mais aussi, et surtout, d’innombrables femmes rendues anonymes, toutes bâtisseuses du monde d’hier et donc, d’aujourd’hui. Avec beaucoup de pédagogie, une pointe d’indignation salutaire mais aussi beaucoup d’humour, Titiou Lecoq et Marie Dubois nous invitent à regarder l’Histoire non plus comme une suite d’exploits masculins, mais comme une aventure humaine, partagée. Vous n’allez pas croire ce que vous allez voir et apprendre. Et pourtant !
- LES GRANDES OUBLIÉES, TITIOU LECOQ & MARIE DUBOIS, 234P., Ed. L’ICONOCLASTE.
Démons et merveilles

Prague 1938, alors que l’Europe vacille sur le bord du gouffre, une jeune fille de 19 ans aux yeux vifs, voit ce que personne d’autre ne voit : un homme en costume impeccable qui la suit partout. Lucifer en personne. Ainsi débute Le Diable et Coral, premier album en solo de Homs, Barcelonais au trait qui nous a déjà tant ensorcelés. On s’attache très vite au personnage de Coral, orpheline d’une mère aimante, élevée par un père énigmatique, le rabbin Loew, qui n’est autre que le créateur légendaire du Golem, ombre tutélaire de la ville. Le Diable, coincé sur Terre contre son gré, erre comme un exilé, incapable de regagner les enfers. Et pour se libérer, il a besoin d’elle. Coral, futée et têtue, affronte le Malin avec une intelligence redoutable. Chaque case est une fresque : une silhouette solitaire sur le pont Charles, le Golem qui veille en silence, Lucifer adossé à un mur, feignant l’indifférence alors que la tempête approche. Un conte envoûtant qui nous rappelle que la ruse d’une femme peut défier les enfers. Homs y déploie une beauté graphique qui font de chaque page un tableau à dévorer du regard. À lire d’urgence pour celles qui savent que le vrai diable n’est jamais celui qu’on imagine.
- LE DIABLE ET CORAL, HOMS, 110P., Ed. DARGAUD.
My baby just cares for us

Clem, le magnifique personnage de rouquine imaginé par L’homme étoilé, auteur bruxellois au coeur grand dont on aimerait connaître l’identité, va vous faire craquer. Clémentine est enceinte de son premier enfant, un miracle qui devrait illuminer son quotidien. Mais Simon, son compagnon, jeune entrepreneur qui monte, semble s’éloigner. Il lui promet Tu ne seras jamais seule mais ne pense qu’à ses chantiers, de grandes maisons de maître qu’il rachète pour les transformer en hôtels de luxe. Simon rentre du travail lessivé, esquive les regards. C’est pour elle, pour eux, dit-il. Pour que le bébé ne manque de rien. Clémentine y croit. Elle attend. Puis les absences se répètent et se prolongent. Elle le cherche dans les messages non lus et les souvenirs d’un amour fusionnel mais bute sur un vide, un silence. Tu ne marcheras jamais seule n’est pas un livre pour les dimanches après-midis pluvieux mais une bande dessinée pour se rappeler que la solitude n’est pas une défaite. C’est un pas vers soi, pour les femmes enceintes qui doutent, pour celles qui ont aimé fort et perdu trop tôt. Une histoire aux couleurs extrêmement douces dont la morale est que, même seule, on avance toujours.
- TU NE MARCHERAS JAMAIS SEULE, L’HOMME ÉTOILÉ, 174P., Ed. LE LOMBARD.
Il fallait qu’on parle

Dans une maison cosy du vieux Rouen où on se prend à deviner qu’il y fait bon vivre, Camille reçoit la visite de Sébastien. Ils se sont connus au travail seize ans auparavant, elle fraîchement sortie des études, lui, divorcé et père de trois enfants. Devenus amants, elle découvre qu’elle est enceinte, lui, amoureux mais pas disposé à vivre une nouvelle vie de famille. Seize ans plus tard, le hasard d’une conversation, leur fille est tombée sur le manuscrit de Camille qui raconte ces années, ils vont entamer une petite conversation qui va se prolonger toute la nuit. Un
dessin doux et aquarellé, plein de délicatesse, des couleurs chaudes pour les souvenirs joyeux, un gris ouaté et un crayonné dominant pour les moments difficiles, cette esthétique, déjà présente sur leur précédent Les fleurs ont aussi une saison, font de ce roman graphique une oeuvre intimiste, mais aussi un plaidoyer pour la complexité des liens entre hommes et femmes d’aujourd’hui. À deux voix, à deux regards, Camille et Cécile, démontrent que la Bande Dessinée peut aussi être un espace de guérison.
- UNE TOUTE PETITE CONVERSATION, CAMILLE ANSEAUME et CÉCILE POIRÉE, 217P., Ed. DELCOURT, COLLECTION ENCRAGES.
Sous un ciel si bas

La Maison du canal de Simenon, c’est celle de L’empire des lumières de Magritte dont le lampadaire se serait noyé sous les pluies incessantes d’un hiver flamand des années 30. La jeune Edmée, 16 ans, orpheline du jour au lendemain, débarque au milieu de la campagne limbourgeoise dans la maison de son oncle pour y découvrir une famille qu’elle ne connaît pas. Mais l’accueil est glacial : l’oncle vient de mourir, laissant une fratrie de six cousins, taiseux, frustes, englués dans une routine oppressante, face à la menace de la ruine. Les deux frères, Fred et Jeff, l’un avide de faire ses preuves, l’autre brute épaisse au coeur vulnérable, exercent sur Edmée une fascination ambiguë, mi-séduction mi-répulsion. Edmée, avec ses moeurs citadines, perturbe l’équilibre précaire de la maisonnée. Quatrième adaptation signée Bocquet d’un des romans durs de Simenon, La maison du canal fascine par l’emprise exercée de la palette chromatique d’Edith, dominée par cinquante nuances de gris et de bleus froids. Avec des horizons barrés par la brume et les canaux, une pluie qui suinte des cases elles-mêmes, cette BD vous fait sentir le poids d’un ciel bas et lourd comme un couvercle en fonte. Oserez-vous ouvrir la porte de la Maison du canal qui vous attend ?
- LA MAISON DU CANAL, EDITH & BOCQUET, 190P., Ed. DARGAUD.
Volailles en cavale

Les tribulations de Betty & Polo, une oie et un coquelet perdus dans le monde urbain du grand Paris, sont la bonne surprise de cette rentrée. Mimiques irrésistibles, situations burlesques admirablement mises en images, gags inattendus, découpage haletant, cette histoire est une fable dont on tourne les pages avec l’impatience de découvrir ce qui va encore arriver à ces deux pauvres oiseaux qui se savent en danger, le jour où ils comprennent que leur destin est de finir au fond d’une casserole. Tout dans ces compères à plumes et leurs mésaventures laisse deviner, du moins espérer, le destin d’une série dont on attend déjà la suite avec réjouissance. C’est hilarant, tendre, intelligent et redoutablement divertissant.
- BETTY & POLO, LA GRANDE ÉVASION, ADRIEN POISSIER, 158P., Collection Charivari, Ed. DARGAUD.
Cat people

Ophélie, jeune chatte au pelage tacheté, hérite d’un défi inattendu : reprendre la cuisine du Cat Café, coffee shop familial en front de mer sur une île américaine du Pacifique. Sa soeur aînée, Miranda, la fine bouche de la pâtisserie, s’est cassé le bras lors d’une chute maladroite sur une falaise en pleine saison d’été. Le trait expressif et la mise en case par la Suédoise Linnea Sterte ne sont pas sans évoquer l’univers des Mangas : des planches aériennes où les chats bondissent avec une grâce surnaturelle, des décors luxuriants qui débordent des pages comme une pâte à choux en lévitation. Mais au-delà de l’esthétique gourmande, Sterte excelle dans les détails sensoriels, on sent la chaleur humide de l’île, on entend le cliquetis des tasses, on goûte la douceur sucrée des spécialités au comptoir du Cat Café. Autant de bonnes raisons pour renoncer au scroll frénétique lors de notre prochaine halte au coffee shop, au profit de cette bulle d’été qui réveille les sens au lieu de stresser notre âme. En plein hiver, cet album vous enveloppera comme une écharpe de nuages tropicaux. La vie se déguste comme un bon gâteau, lentement, avec ceux qu’on aime, rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour ouvrir son propre café, même si c’est juste dans un coin de notre tête.
- CAT CAFE, LINNEA STERTE, 160P., Ed. DARGAUD
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