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Claire Berest: « Je pense sincèrement que notre monde est malade de l’internet et des écrans »

Avec La chair des autres, Claire Berest signe un récit introspectif sur l’affaire Pelicot qui a mobilisé les médias et choqué le monde. Rencontre avec une écrivaine passionnée et engagée pour parler de transmission, de douleur, et de résilience. Par Nicky Depasse

Rencontre avec Claire Berest:

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur l’affaire Gisèle Pelicot et à quel moment avez-vous su que cela deviendrait un livre ?

Claire Berest : « Le magazine Paris Match m’a proposé en septembre de suivre les audiences du procès des viols de Mazan. Or je ne suis pas journaliste, encore moins chroniqueuse judiciaire. Mais une personne de la rédaction avec laquelle j’avais déjà travaillé sur un tout autre sujet, savait que je m’intéressais beaucoup aux faits divers et voulait, sans doute, un regard d’autrice, de femme, sur cette affaire particulièrement sensible. Il se trouve que je n’avais à ce moment pas la possibilité de me rendre à Avignon mais j’ai tout fait pour m’organiser. Nous étions déjà très nombreuses et nombreux à suivre cette histoire dans les médias, et je sentais que ce fait divers nous convoquait, nous demandait de ne pas détourner le regard car il allait très vite se transformer en fait de société, marquer une nouvelle étape dans le combat contre les violences sexuelles. »

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Il ne s’agissait pas de donner des détails sordides pour combler des appétits voyeuristes mais de faire corps avec la victime tout en maintenant une distance pudique.

Malgré l’horreur des faits qui ont été décrits et montrés au cours du procès, votre livre n’est absolument pas voyeuriste.

Claire Berest : J’ai bien sûr fait le compte rendu quotidien des audiences pour Paris Match, qui est un témoignage immédiat. Je ne me suis posé la question d’écrire un livre qu’à la fin du procès. Une fois que je n’ai plus été à ma tâche de relayer les informations, je me suis retrouvée avec toutes ces portes qui avaient été ouvertes et la nécessité de prolonger l’écriture pour évoquer la tragédie d’une femme, les faits innommables et sa douleur infinie. Il ne s’agissait pas de donner des détails sordides pour combler des appétits voyeuristes mais de faire corps avec la victime tout en maintenant une distance pudique.

Gisèle Pelicot a compris qu’en rendant le débat public, elle donnerait sans doute le courage à d’autres femmes de s’exprimer, elle ne serait pas devenue un champ de ruines en vain.

Avez-vous observé comment Gisèle Pelicot est devenue malgré elle une icône de la cause féministe contre les violences sexuelles ?

Claire Berest : Ce que vous dites est extrêmement juste. Après la terrible révélation de ce que son mari lui avait infligé pendant dix ans, elle a refusé de regarder les vidéos des crimes. Ce n’est qu’après la fin des trois années d’instruction, juste avant le procès, qu’elle a dit à ses avocats être prête à les regarder. Elle a donc cheminé durant cette période qui a dû être terriblement pénible. A partir de ce moment, quelque chose a dû se construire pour la mener à ce bras de fer avec le juge qui débouchera sur la levée du huis clos. Car elle a compris qu’en rendant le débat public, elle donnerait sans doute le courage à d’autres femmes de s’exprimer, elle ne serait pas devenue un champ de ruines en vain.

Justement, à propos de ces vidéos de viols qui ont été diffusées durant le procès, comment peut-on raconter l’horreur absolue ?

Claire Berest : On n’en sort pas indemne. La première vidéo que j’ai vue au procès, j’ai pleuré. La crudité de ce à quoi nous avons assisté bloque tout effort de compréhension. Un moment. Puis le cerveau se reprend et tente d’en faire quelque chose. Mais il y a un arrêt. C’est tellement insoutenable qu’on ne peut qu’avoir un mouvement absolu d’empathie envers la victime, essayer de faire résistance ensemble à l’horreur totale. Mais au bout de quelques semaines, j’ai remarqué avoir oublié les images, très peu me sont restées. Comme si mon corps avait fait le tri et verrouillé ces images dans un coin de ma mémoire. Inaccessibles. J’ai aussi remarqué que quand Gisèle Pelicot nous a convoqués pour regarder les vidéos, son mari et les coaccusés ont baissé la tête. Elle a tourné la tête pour ne pas se les infliger à nouveau, mais elle ne l’a pas baissée.

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Depuis la nuit des temps, il y a toujours eu des agressions sexuelles mais aujourd’hui on en parle beaucoup plus. Qu’est-ce que cela raconte de notre société actuelle ?

Claire Berest : L’appropriation du corps de l’autre, c’est vieux comme l’Humanité. Si cette affaire est devenue hors norme, c’est bien sûr en fonction de la position de Madame Pelicot qui ouvre beaucoup de tiroirs à la réflexion. Elle parle de la culture du viol, du regard des hommes sur les femmes, du consentement, de la misère sexuelle, du fléau des écrans et de l’internet. Comment Dominique Pelicot est-il parvenu à trouver autant de candidats dans un rayon de 50 kilomètres avec des profils aussi différents, des hommes de 22 à 68 ans, mariés, pas mariés, enfants ou pas d’enfants, de situations de réussites professionnelles aussi différentes ? Cela réinterroge sur l’affaire du site coco.fr qui a été fermé depuis mais qui a sûrement été remplacé par dix autres depuis. Je pense sincèrement que notre monde est malade de l’internet et des écrans. Clairement. Et avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, si nous ne sommes pas vigilants, cela va se transformer en suicide collectif. L’affaire Gisèle Pelicot a cristallisé des dizaines de sujets brûlants de notre société et elle montre, que malgré les combats enclenchés comme la vague Meetoo, il y a encore beaucoup de réflexions à mener collectivement.

LA CHAIR DES AUTRES, Claire Berest, 205P., Ed. Albin Michel.

© Pascal Ito

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