Témoignage: victime d’un pédophile, Ève culpabilise de ne pas l’avoir dénoncé
Tout le monde connaît cet agaçant petit diable sur l’épaule, notre conscience qui nous murmure en permanence que nous aurions dû faire les choses autrement. Qu’on n’aurait pas dû faire ceci ou qu’on aurait dû dire cela. Ève, 47 ans, se livre sur ce sentiment de culpabilité qui la ronge depuis son enfance. Par Joanie De Rijke, avec la collaboration de Marie Aubin.
Le témoignage d’Ève, 47 ans
« Enfant, j’allais toujours en vacances avec un mouvement de jeunesse laïque. Il y avait trois animateurs, on était très proches d’eux parce qu’on les connaissait depuis des années. Pendant un de ces séjours, c’était dans les Ardennes, je me suis foulé la cheville. Je ne pouvais plus marcher, mais l’animateur n’a pas jugé nécessaire de m’emmener à l’hôpital. J’avais 10 ans, je n’ai pas osé le contredire.
À un moment donné, il a pris ma main et l’a poussée dans son pantalon de pyjama, contre son pénis
Il soignait ma cheville tous les matins avant le petit-déjeuner, il mettait de la glace dessus et appliquait de la pommade. J’étais en pyjama et je devais poser mon pied sur sa jambe. Mais de jour en jour, ça devenait plus inconfortable, il s’approchait trop. À un moment donné, il a pris ma main et l’a poussée dans son pantalon de pyjama, contre son pénis. J’étais choquée et je paniquais, mais je suis restée alerte malgré tout. Je lui ai clairement fait comprendre que je n’étais pas d’accord. Je lui ai lancé : “Ne fais plus jamais ça ou je vais à la police !” Il ne s’y attendait probablement pas, car il a arrêté net. Après, nous avons fait tous les deux comme s’il ne s’était rien passé.
Une fois rentrée à la maison, je n’ai pas osé le dire à mes parents. Je craignais qu’ils ne me laissent plus aller au camp, que j’adorais. Les deux années suivantes, j’y suis retournée et tout s’est bien passé. La seule chose que j’ai remarquée, c’est qu’une des filles, qui avait toujours été très joyeuse, était tout à coup taciturne et en retrait. J’étais moi-même encore une enfant, mais je me suis demandé s’il lui était aussi arrivé quelque chose avec cet animateur. J’en ai parlé avec elle, mais je n’ai pas eu de confirmation que c’était bien ça ; alors j’ai repoussé ces pensées.
J’ai réalisé qu’il était peu probable que je sois la seule à qui c’était arrivé, cet animateur s’en était certainement pris à d’autres enfants
Ce n’est que des années plus tard, quand toutes ces histoires de pédophilie ont éclaté, que j’ai mesuré la gravité de ce que j’avais vécu. J’ai réalisé qu’il était peu probable que je sois la seule à qui c’était arrivé, cet animateur s’en était certainement pris à d’autres enfants. Et j’ai commencé à me sentir coupable. Car plus j’y pensais, plus je me disais qu’il avait certainement fait d’autres victimes que moi. Si j’en avais parlé à mes parents à l’époque, la police aurait probablement pu intervenir et on aurait épargné bien des souffrances à d’autres victimes.
Je me suis demandé si je ne devais pas aller à la police, ne fut-ce que pour demander s’ils savaient quelque chose à propos de cet homme. Mais je ne l’ai pas fait. La police a autre chose à faire, et puis je l’accuserais peut-être à tort... Jusqu’au jour où j’ai revu quelqu’un qui participait aussi à ces camps de vacances à la même époque. Prudemment, j’ai glissé que cet animateur n’était pas tout à fait net dans ses comportements. Elle a confirmé ; elle avait entendu plusieurs histoires à ce sujet.
Depuis, je n’arrive plus à me débarrasser de ce sentiment de culpabilité
À cet instant, ma plus grande crainte s’est vérifiée : il avait bel et bien fait d’autres victimes, et j’aurais peut-être pu l’éviter. Depuis, je n’arrive plus à me débarrasser de ce sentiment de culpabilité. J’ai envie de le dénoncer à la police, mais d’un autre côté, je me demande si je dois en parler, car les autres victimes ne le souhaitent peut-être pas du tout.
J’y pense beaucoup, et chaque fois que je lis ou j’entends quelque chose en rapport avec ça, tout remonte. Rationnellement, je sais bien que j’ai été courageuse, du haut de mes 10 ans, de le remettre à sa place. Mais je me dis de plus en plus que ce que j’aurais dû faire, c’est aller voir la police.»
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