Santé: pourquoi souffrons-nous de plus en plus de “brouillard cérébral”?
Depuis la pandémie, le terme revient de plus en plus souvent, mais définir le fameux « brouillard cérébral » est… nébuleux. On a tenté d’éclaircir le concept. Par Evelien Roels, avec la collaboration de Kathleen Wuyard.
Quand elle a dû faire un calcul mental basique au boulot, Katy, 34 ans, a réalisé qu’elle en était tout bonnement incapable – même en s’aidant d’une calculette. C’est comme si son cerveau avait tout simplement jeté la procédure, un des symptômes de ce brain fog, ou brouillard cérébral, dont on entend toujours plus parler depuis la Covid. Tapez le terme dans Google et vous obtiendrez des milliers de résultats, entre descriptions de ce qu’est ce brouillard et (nombreux) témoignages de personnes qui luttent contre ce phénomène, parfois depuis des années. Et les médias internationaux de renom ne sont pas en reste.
Le New York Magazine titre ainsi « Brain fog is a keeper » (« Le brouillard mental est parti pour rester ») et ajoute que « cela fait cinq ans que la pandémie a commencé et toutes les personnes autour de nous se sentent désorientées ». Le New York Times écrit, lui : « Impossible de penser, impossible de se souvenir : de plus en plus d’Américains disent qu’ils sont en plein brouillard cognitif. » Quant au quotidien britannique de référence The Guardian, il décrit en détail l’impact du brouillard cérébral dû à la Covid. Il parle également du TDAH, de la ménopause et d’inflammation cérébrale. Mais qu’est donc ce brouillard cérébral qui afflige tant de personnes ?
De nombreux facteurs peuvent être à l’origine de ces symptômes cognitifs. La Covid en est un, mais il peut aussi s’agir de fatigue, d’une maladie somatique, d’encéphalite, d’un traitement par chimiothérapie, de migraines, d’une grossesse, de la ménopause, d’anxiété, de dépression, de morosité...
Le Dr Jeanette Dijkstra, neuropsychologue clinique et chef de département de psychologie médicale en hôpital universitaire, explique : « Le brain fog est un terme utilisé pour décrire les troubles de la concentration, de la mémoire et de l’attention. Il ne s’agit donc pas d’une maladie en soi. Ces plaintes ne sont pas nouvelles, mais il est vrai que brain fog est actuellement un terme populaire pour y faire référence. » Et le médecin de lister les différentes causes qui peuvent y contribuer : « De même que le brouillard cérébral ne se manifeste pas de façon unique, il n’a pas de cause unique. De nombreux facteurs peuvent être à l’origine de ces symptômes cognitifs. La Covid en est un, mais il peut aussi s’agir de fatigue, d’une maladie somatique, d’encéphalite, d’un traitement par chimiothérapie, de migraines, d’une grossesse, de la ménopause, d’anxiété, de dépression, de morosité... D’ailleurs, sa cause n’est pas toujours forcément grave ni même une condition sur le long terme : si vous avez vécu une expérience particulière, si votre agenda a été particulièrement rempli ou que vous avez mal dormi, vous remarquerez aussi que vous êtes moins alerte et que les choses ont tendance à vous échapper plus facilement. Dans ces cas-là, on parlera rarement de brouillard cérébral, parce que la situation est temporaire et qu’elle a une cause clairement identifiable. »
« Rien d’anormal »
Cécile (50 ans) fait partie des quelque 5 % de Belges qui souffrent de Covid longue et de brouillard cérébral. « J’ai attrapé le coronavirus en 2020. J’étais un peu grippée et j’avais un peu de fièvre. Rien de grave, et après quelques jours, je me sentais déjà mieux. Ce n’est qu’après que j’ai remarqué que quelque chose avait changé dans ma tête. J’étais incapable de retomber sur certains mots pourtant très simples, comme « chaise », par exemple. Lorsque les gens me disaient quelque chose, je réagissais comme si je découvrais l’information, même s’ils m’assuraient qu’ils me l’avaient déjà dit la veille.
J’étais incapable de retomber sur certains mots pourtant très simples, comme chaise, par exemple.
Quand je cuisinais, j’oubliais depuis combien de temps un plat était sur le feu et je devais régler un minuteur. Lire devenait difficile, j’oubliais qui étaient les personnages et je ne pouvais plus suivre l’histoire. Il en allait de même pour la télévision. S’il s’agissait d’une sitcom, ça allait encore, mais un débat avec plusieurs intervenants ou un programme plus compliqué, j’étais complètement larguée. » La quinquagénaire s’est rendue chez plusieurs médecins pour leur faire part de ses préoccupations, mais elle n’a pas obtenu beaucoup de compréhension de leur part. « Selon l’un d’eux, c’était dû à la ménopause, ce qui a été contredit par mon gynécologue. Un autre pensait que je devais me reposer. Le pire, c’est qu’on n’a pas hésité à me dire : « Vous vieillissez un peu, Madame. » Sur le plan neurologique, il n’y avait rien d’anormal, et c’est apparemment ce qui fait que certains ont du mal à identifier ces problèmes. »
Pourtant, les conséquences pour Cécile sont profondes. « Je travaille dans un magasin de vêtements. Il y a des jours où tout va bien, mais les mauvais jours, tout me demande un effort énorme. Je dois chercher des prix que je connaissais par cœur. Si une cliente veut commander quelque chose et me dicte son numéro de téléphone, je dois réfléchir : « 0472… comment cela s’écrit-il, déjà ? » Mon temps libre en pâtit également. Les mauvais jours, j’annule mes rendez-vous. Souvent avec une excuse bidon, parce que j’ai peur que les gens pensent que je suis nulle. Les bons jours, je m’en sors, mais même dans ce cas, les contacts sociaux me prennent beaucoup d’énergie. Mes proches me disent que je suis une vraie babelutte. Ce qu’ils ne voient pas, c’est à quel point je dois réfléchir pendant que je parle, à quel point la moindre conversation m’épuise. Lorsque nous allons boire un verre à plusieurs, je ne me souviens plus après-coup de ce qui a été dit. Cela ne me correspond pas, je suis par nature très empathique, celle qui sait que X ou Y passe une journée difficile et qui pense à lui envoyer un message. Du moins, c’est ainsi que j’étais. Avant que ce brouillard s’installe dans ma tête. »
Rien n’est ressorti de l’IRM. Le médecin associe maintenant mes symptômes au stress et je pense qu’il est dans le bon
Un témoignage auquel le vécu de Katy fait écho. Elle souffre pour sa part de brouillard cérébral dû à des migraines. « Avant l’âge de 30 ans, je ne souffrais de rien. Puis les migraines hormonales ont commencé et elles sont passées à deux migraines par semaine. Ces crises s’accompagnent d’un brouillard cérébral. C’est comme si un voile se posait sur ma tête. Tout devient flou, je ne peux plus réfléchir correctement, j’ai des trous de mémoire, j’oublie beaucoup de choses. » Elle aussi s’est rendue chez le médecin pour lui faire part de ses craintes. « On m’a fait une IRM de cerveau, mais il n’en est rien ressorti. Le médecin associe maintenant mes symptômes au stress et je pense qu’il est dans le bon. Lorsque j’ai une crise de migraine à la maison, le brouillard semble moins présent. Au travail, il est beaucoup plus intense. Une fois, je n’arrivais même plus à dire mon nom. »
Mais le diagnostic de brain fog n’est pas évident et le Dr Dijkstra est bien placée pour le savoir : « En tant que médecins, nous ne le diagnostiquons pas, car il ne s’agit pas d’une pathologie en soi, mais d’un ensemble de plaintes. De plus, ces plaintes ne sont pas mesurables et ne sont pas visibles sur les scanners. C’est la différence avec un trouble cérébral, résultant par exemple d’une tumeur ou d’une lésion au cerveau. Les symptômes de ces troubles peuvent être similaires à ceux du brouillard cérébral et pourtant, ils ne seront jamais appelés ainsi, parce qu’il est possible de les déterminer objectivement. »
Une approche en trois temps
Les médecins ont prescrit à Cécile un traitement à base de vitamines. Katy prend pour sa part des médicaments contre les crises de migraine et tente de combattre le brouillard cérébral en se reposant durant chaque crise et en évitant le stress autant que possible. Officiellement, selon les médecins, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Mais le Dr Dijkstra n’est pas de cet avis : « On peut faire bien plus pour une personne souffrant de brouillard cérébral, en cartographiant au mieux sa situation. Nous le faisons dans trois domaines : biologique, psychologique et social. Les facteurs biologiques peuvent concerner n’importe quelle maladie, comme la migraine ou la Covid, mais aussi des situations telles qu’une grossesse ou la ménopause. Les facteurs psychologiques ont trait à la manière dont une personne gère les situations difficiles ou les défis de la vie. Et les facteurs sociaux concernent l’environnement. Souvent, il est possible d’appréhender au moins certaines de ces problématiques. Une thérapie avec un psychologue peut aider les personnes à envisager leurs problèmes différemment. Peut-être peuvent-elles réorganiser leur journée pour mieux répartir leur énergie. Cela ne fera pas disparaître le brouillard cérébral, mais cela peut rendre ses symptômes plus supportables. »
On cartographie la situation du patient à 3 niveaux : biologique, psychologique et social.
Pas de panique
Pour Katy, son nouveau médicament contre les migraines semble faire son travail et avec la diminution du nombre de crises, le brouillard cérébral s’atténue également. Cécile, elle, ne ressent pas encore d’amélioration de sa situation, mais elle garde le moral : « Je m’oblige à lire, par exemple, même les jours difficiles. Je veux continuer à entraîner mon cerveau. Mais je dois admettre qu’il y a des moments où l’anxiété m’envahit. J’ai peur que la situation ne s’arrange jamais. Le brouillard mental est un concept nouveau, il n’y a peut-être pas encore suffisamment de recherches à son sujet. Que se passera-t-il si, plus tard, on réalise qu’il conduit à une démence précoce, par exemple ? Serons-nous une génération sacrifiée ? » Pas de panique inutile, recommande le Dr Dijkstra, qui veille à apporter quelques nuances : « Chaque génération a sa terminologie. Mais les troubles cognitifs ne sont pas nouveaux. Des recherches sont menées dans ce domaine depuis un certain temps. Si, par exemple, un grand nombre de femmes enceintes font état de difficultés de concentration, la raison en est recherchée. Ce phénomène n’est alors plus décrit comme un « brouillard cérébral », qui n’est pas défini, qui ne correspond pas à un diagnostic précis. » Une brume lexicale autour d’un brouillard ? Cela pourrait être ironique si les désagréments qu’il cause n’étaient pas si limpides pour ses victimes…
Pour aller plus loin:
- À écouter
« Brouillard mental avec leDr Lydia-Marie Scemama », un épisode du podcast Chaud dedans.
« Sortir du brouillard mental », un épisode du podcast Mission anxiété zéro.
« Votre cerveau », un podcast de France Culture dédié à son fonctionnement (mais aussi aux méthodes pour l’entraîner). - À lire
Mon cerveau a besoin de focus, Dr Annick Vincent, psychiatre, Éd. de L’Homme, 2025.
Bien nourrir son cerveau contre le stress, l’anxiété, la dépression et le déclin cognitif, Dr Guillaume Fond, spécialiste de la psychonutrition, éd. Odile Jacob, 2025.
Le cerveau m’a beaucoup déçu. L’esprit, non, Dr Antoine Sénanque, neurologue, éd. Guy Trédaniel, 2021.
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